Sunday, October 10, 2010

Un seul chemin sur la terre/A réussi à me plaire/Celui qu'ensemble on suivait


Photo Sylvain Couzinet-Jacques. Thomas Gonzalez dans La Mort d'Ivan Ilitch.



La journée a commencé avec ma petite conférence (ou causerie) aux programmateurs. Très agréable. Le groupe était détendu. J’ai parlé comme je sais faire et personne n’avait l’air de s’ennuyer. Rien à en attendre. Ou tout. Puisque le plaisir semblait partagé. J’étais surtout heureux de pouvoir montrer ma bonne volonté à Hubert et à Anaïs qui avaient eu l’idée de cette rencontre. J’ai même réussi à dire deux-trois choses importantes. On a parlé de Grüber... J’en ai oublié une ou deux.

Répétition un peu commencée dans le stress en début d’après-midi (Gérald en retard, un piano à faire disparaître), mais qui s’est, après ça (cette dépense d’énergie non-bouddhique), déroulée sans accroc. On a réussi à éteindre tous les racs ; le gradin plat, je l’ai assumé (j’étais au courant)… Filage photos plus un deuxième. Thomas, très travailleur. Quelle belle rencontre, ce type-là ! Il m’émeut vraiment beaucoup. Ce qu’il a fait le soir est virtuose, extrêmement difficile, très complexe. La difficulté, dans son cas, vient de ce qu’il est « surqualifié ». Très intelligent, sensible plus encore et avec l’outil de soi-même à disposition comme une machinerie. Il est le premier acteur à qui, par exemple, j’aie demandé s’il pouvait pleurer. Oui. Pas d’problème. Il appuie sur un bouton, ça sort. A l’endroit désigné par la mise en scène (au bord gradin, en gros plan) : des larmes. Je disais la « difficulté »… C’est juste que c’était son premier filage en public, que, le matin, j’avais dit que mon travail nécessitait plusieurs avant-premières pour que les acteurs comprennent dans quel sens il se « cristallisait ». Dans le sens de la confiance. Donc Thomas était extrêmement à l’écoute du public afin de comprendre ce qui passait et ce qui passait moins, comment ça se passait. Ce qui est tout à son honneur. Rien à redire. Mais qui lui donnait une sensible (puisque tout chez lui est ultra sensible) « attention » dans le sens « gravité », « rétention » qui aurait disparue dès le lendemain, c’est-à-dire au « deuxième » filage, dès la « première », comme on dit, passée (et puisque très bien passée). J’ai été saisi de larmes au moment où il a dit que le chemin qu’il avait préféré faire dans la vie avait été celui que nous avions fait ensemble… En même temps, il a un peu forcé sur l’accent, ce qui fait que des personnes (je l’ai appris ce matin) ont cru qu’il chantait du Dalida ! Faut-il être idiot ! (Ces gens, paraît-il, se sont demandés si j’avais réécris une partie des paroles...) L’accent rajoutait du kitsch, c’est vrai, les gens riaient parfois (ça, c’est toujours agréable, comme disait Nathalie Sarraute : « C'est la preuve que le public ne s'ennuie pas. ») : ce léger malentendu se serait évanoui de lui-même dès le lendemain *. Ah, si, quand même une chose dégoûtante (que je n’ai pas vue en direct – j’étais « sous » le gradin plat – mais qu’on m’a rapportée) : Thomas Gonzalez est tellement – quand il joue – dans l’état d’une prostituée, n’est-ce pas ? – c’est l’explication – que du liquide séminal s’échappait de sa bite dans un long fil baveux quand il est monté sur la chaise (pour le presque et sublime final). Répugnant ! Et, là aussi, rires. Mais, enfin, ça donne l’idée de la hauteur à laquelle la « performance » (complètement écrite) s’est placée. Le simple fait de monter sur une chaise... Du haut vol. Du don de soi. Du Louis-Ferdinand Céline. On m’a rapporté aussi qu’une personne l’avait trouvé très moche ! Je rapporte ces avis négatifs si rares parce qu’ils sont baroques et que parler des compliments serait immodeste. Liliane Giraudon et Jean-Jacques Viton ont été littéralement adorables, Hubert aussi. Liliane ne peut que comprendre ce genre de choses. Elle a pleuré, bien sûr. Marc-Antoine aussi a adoré. Jean-Jacques nous a offert du champagne pour fêter ce succès. Du coup, j’ai un peu délaissé Montaine qui en était à la bière. Sorry, Montaine… Je veux dire quand même une chose qu’il me sera arrivé d’entendre une fois dans ma vie, une chose dont je n’aurais même jamais pu rêver… Quelqu’un, quelqu’un m’a dit – un inconnu qui est venu vers moi – et il a dit que c’était d’une complexité, d’une densité et d’une condensation de contradictions (défaire la représentation et, immédiatement, la reconstruire, etc., je ne sais plus)… Une condensation, une contraction d’extrêmes et de paradoxes... Attendez, je n’ose le dire, j’ai failli m’évanouir (ou peut-être, moi aussi, laisser couler du liquide séminal)… Il a dit, il aurait dit, oui : « borgésienne ». (Il ne savait même pas le dire, ce mot, il a d’abord dit : « borgienne ».) Bon, en même temps, il m’a avoué à la fin, en partant, quoi, qu’il était, en ce moment, dans Borges, qu’il le lisait… Mais, quand même, c’était dit, ça a été dit ! Et, moi aussi, de toute façon, je suis dans Borges, en ce moment. (Ceci pour Alain Klingler qui me demandait d’où je sortais les citations sur le Bouddha.) Et, de toute façon, je suis toujours dans Borges. C’était ma bible au stage (Jouer Dieu) et c’est – pour la vie – l’homme qui m’apprend le plus. Après mon psy, mon père et Pierre, bien entendu… Mais pas très loin derrière. Et après Thomas, of course….

Bon, je suis dans le train (le 18h28, le samedi – que je conseille : il est direct et il est vide) et j’ai fini la mini bouteille de rosé qui s’appelle Just. Just, Just rosé, produce of France. Avec amitié






* Evidemment, c’est un état d’ultra sensibilité, comme j’ai dit, et donc la projection du public est une action massive. Quand je suis seul avec Thomas, ce que je projette est d’une énorme importance et quand, tout d’un coup, il y a beaucoup d’public, il y a du public, évidemment, c’est considérable. Donc c’est pour ça qu’il faut beaucoup d’avant-premières, normalement, en fait, pour… devenir une star parce que « devenir une star », c’est ça, c’est comment travailler la projection du public, en fait. Dans cette représentation unique, par exemple, Thomas, parfois, avait l’air d’un clown (comme avec une perruque de clown). Ce qui m’a donné l’impression, comme ça, qu’il forçait l’accent. Mais, si ça s’trouve, c’était simplement le public qui projetait – d’ailleurs y a eu des rires à ces moments-là – qui projetait quelque chose. C’était quelque chose qui n’était pas apparu pendant les répétitions et qui d’ailleurs était en soi absolument intéressant.

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