Friday, May 13, 2011

Correspondance interdite

Pour introduire, je ne savais pas vraiment par où commencer... Yves-Noël Genod s'en est chargé. Voilà que la surprise n'a plus lieu d'être. Il va falloir qu'elle se déplace ailleurs. Je verrai bien...

Ce mail ne devrait pas être. Oui. S'il avait fallu respecter les règles de la bienséance, des droits d'auteur, de la propriété, je n'aurais pas eu à vous écrire. Ce texte a été confié à Genod en toute confiance. Dommage ! Me voici en sa possession, cher Olivier. Texte que je ne devais pas lire, que je ne devais imprimer, que je ne devais pas diffuser, dont je ne devais pas tomber en amour. Eh oui, c'est dit ! Vous n'allez pas contrer des sentiments pareils ! Peut-on se hisser contre l'amour des mots. C'est une définition de mon travail qui me convient. Les règles ont été imposées, formulées, dépassées. Ce genre de contraintes sont pour les gens sages. I'm not an angel.

J'ai lu votre texte en trois nuits. Seulement la nuit. C'est un univers qui me ressemble et où je suis le plus éveillé. La lune, les cigarettes, le monde alentour assoupis, vous & moi. Paysage. Etant pourtant un être solaire (dixit Elisabeth Teissier et ma mère), je suis intimement convaincu que la lune m'a aidé à vous rencontrer. Envoûté par l'écran trop aveuglant de mon ordinateur (je ne devais pas imprimer votre texte), j'ai donc parcouru les dizaines de pages pdf pour suivre cette correspondance comme un rêve, un fantasme, une ombre qui a plané au dessus de mon lit et de mon corps nu, jusqu'à l'épuisement. Epuisé deux fois, puis c'est moi qui vous ai eu. Jamais deux sans trois, c'est faux. Trois Nuits. Qu'est-ce que l'auteur éprouve à savoir qu'il a hanté des chambres nocturnes ? Me le direz-vous ? Vous êtes content ? Vous avez honte ? Peur, peut-être ? J'ai longtemps rêvé de rencontrer un grand metteur en scène riche et talentueux qui m'entretiendrait d'amour et d'argent, le vieux talentueux et le p'tit golden toy à la vingtaine... Sacré veinard, ce Sébastien ! Vous êtes auteur, je ne l'oublie pas.

J'ai fait des rencontres déjà. De textes, je veux dire. Je veux dire, que c'est eux qui sont venus à moi, Pasolini, Lagarce, Copi. Oui, je sais, que des homosexuels. YvNo vous en a parlé peut-être ? Ce n'est plus vraiment un problème depuis que j'ai rencontré ces gens-là. Et vous, maintenant. Je ne vous range pas dans la littérature gay française contemporaine. Non. Gallimard, en plus. Je veux dire que vous et eux faites en sorte que je puisse un peu plus parler encore de cette alchimie qui nous compose. Vous en parlez mieux que moi. Jérôme n'est-il pas sujet à cette dualité en lui ? Vous aussi donc ? Mais tous d'ailleurs ! Moi j'ai besoin de ces deux parties de moi. Mais tout est deux en ce monde. Il y a toujours un contraire indissociable. Virginia Woolf, dans Orlando (je sais que vous savez que je travaille dessus, aucune surprise) parle de l'amour comme d'un volatile qui « possède deux visages, l'un blanc et l'autre noir ; deux corps, l'un lisse, l'autre velu. Il a deux mains, deux pieds, deux queues. » Elle les nomme « Lubricité le Vautour » et « Amour Oiseau de Paradis ». C'est donc ça, pour dire un peu ce que ça m'a foutu votre texte. Comme un champ d'actions au déploiement.

Je ne veux pas en dire trop, incertain de votre réaction, Olivier, je laisse un peu de marge.

Disons que je suis persuadé de votre béatitude face à l'envoi de ce mail, que je suis convaincu entièrement de votre bouleversement quand vous saurez ce que votre oeuvre a eu comme effet sur un jeune homme de vingt-deux, que je suis persuadé d'être le seul à accomplir cette démarche (du moins jusqu'à la publication), que le processus est original (j'aurai pu faire provoc' en reprenant le premier mot de Sébastien, mais quel conformisme, la mise en abîme, tout ça...)

Je fantasme depuis. Des spectres viennent me susurrer à l'oreille que vous auriez écrit ce texte pour moi. Il est déjà trop tard, Gallimard a sonné les douze coups. Tristan et Isolde leur appartient, non ? Je ne vous dirai rien de plus. Ceci est une réponse à la fantaisie qui est née de notre rencontre. Les trois nuits passées ensemble furent intemporelles, irréelles. Mais en tel accord avec mon âme dans l'art. J'y ai de quoi créer, là , tout de suite. Je constate, simplement. Alors comment ça se passe ? Je dois attendre un an avant de dire ces mots en dehors de la surveillance de YvNo ? Je dois laisser le plaisir attendre ? Refouler la nécessité ?

Nécessité... C'est un bon titre ça. Je vais tenter de trouver un adjectif qui tape un peu.

En attendant votre réponse qui sera une de vos priorités dès la réception de ce mail, (soyez indulgent, je suis si jeune).

A bientôt,

Avec tout mon respect,

Romain

PS : Rien de surprenant, en fait.







Romain,

Si écrire signifie recevoir ce genre de lettre, je crois que je vais écrire toute ma vie.

Yves-Noël est impossible, ingérable comme les mustangs sauvages des Désaxés.
Je lui avais fait promettre de ne pas faire circuler mon texte, c'était sans compter sur sa conception de la liberté qui est de toujours transgresser les règles.
Au fond il n'a pas tort, et je n'arrive pas à lui en vouloir.

Mais depuis que j'ai envoyé mon manuscrit à Yves-Noël, les choses ont évolué. Gallimard a en effet accepté mon texte, et ils m'ont demandé l'embargo total jusqu'à la publication, normalement en janvier prochain, dans la Blanche.

J'aurais dû penser qu'Yves-Noël, c'est le contraire sémantique du mot embargo...

De plus, j'ai décidé de retravailler, disons que ça va prendre plus d'ampleur. Le titre va changer, aussi.
Je ne sais rien sur toi, je sais juste que tu as travaillé un passage de mon texte sous forme de comédie musicale ???
Ah oui ? Quel passage ? Et ça a donné quoi ?

Ton mail ne devrait pas être mais il est, et il est beau.

Que faire devant la beauté si ce n'est succomber, se prosterner, remercier ?

You're not an angel. As I am. So nice to meet you.

Nous avons donc passé trois nuits ensemble, j'en suis ravi. Pas la moindre peur.
Juste heureux de l'apprendre. Emoustillé aussi.

Aurais-je écrit ce texte pour toi ?
Mais, oui, si tu le dis !
Si tu le dis, c'est forcément vrai.

Je t'embrasse, toi et ton "contraire indissociableRomain,

Si écrire signifie recevoir ce genre de lettre, je crois que je vais écrire toute ma vie.

Yves-Noël est impossible, ingérable comme les mustangs sauvages des Désaxés.
Je lui avais fait promettre de ne pas faire circuler mon texte, c'était sans compter sur sa conception de la liberté qui est de toujours transgresser les règles.
Au fond il n'a pas tort, et je n'arrive pas à lui en vouloir.

Mais depuis que j'ai envoyé mon manuscrit à Yves-Noël, les choses ont évolué. Gallimard a en effet accepté mon texte, et ils m'ont demandé l'embargo total jusqu'à la publication, normalement en janvier prochain, dans la Blanche.

J'aurais dû penser qu'Yves-Noël, c'est le contraire sémantique du mot embargo...

De plus j'ai décidé de retravailler, disons que ça va prendre plus d'ampleur. Le titre va changer, aussi.
Je ne sais rien sur toi, je sais juste que tu as travaillé un passage de mon texte sous forme de comédie musicale ???
Ah oui ? Quel passage ? Et ça a donné quoi ?

Ton mail ne devrait pas être mais il est, et il est beau.

Que faire devant la beauté si ce n'est succomber, se prosterner, remercier ?

You're not an angel. As I am. So nice to meet you.

Nous avons donc passé trois nuits ensemble, j'en suis ravi. Pas la moindre peur.
Juste heureux de l'apprendre. Emoustillé aussi.

Aurais-je écrit ce texte pour toi ?
Mais oui si tu le dis !
Si tu le dis, c'est forcément vrai.

Je t'embrasse, toi et ton « contraire indissociable »,

Olivier

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