Sunday, November 20, 2011

Philippe, ferme ta gueule !




Cette île est la plus belle qu’on puisse imaginer. La végétation y est verticale (je l’ai déjà dit, comme les murs de Patrick Blanc). Bien sûr, il y a Maurice, les plages, le vide comme céleste, l’eau comme le vide, etc. Bien sûr, il y a les Seychelles (rien que le nom…), les Maldives. Mais La Réunion est la ville-île, la ville d’une autre planète. La nature y est simplement la même, mais plus. De l’eau, du soleil pour tous. Cascades, lacs, torrents, bassins, ruisseaux, rivières... – autant d’eau potable, douce et pure dans une île entourée de requins, c’est invraisemblable. D’où vient-elle ? Pour qui ? Pour les plantes essentiellement. Il n’y a pas d’animaux. Très peu. Et rien de venimeux, ni mygale ni serpent ni python… Mon Dieu, que j’aimais la vie ! Dans l’avion, j’étais très excité, plein d’ambition et de facilité. Je m’étais disputé avec Philippe. Au moment de prendre les places, j’avais eu l’impression que j’allais être piégé, que j’allais être assis à côté de lui pendant onze heures. Mais non. J’aurais pu me passer de cette crise. J’avais eu honte. Philippe avait pleuré. Et, bien sûr, il pleurait comme un enfant, mais il pleurait aussi comme une femme que j’aurais fait pleurer. Me revenait comme j’avais fait pleurer les femmes. J’avais honte. Ensuite, je m’étais excusé. Philippe avait repris son humeur heureuse, disponible, confiante en la vie, en sa vie. Pourquoi le déranger, Philippe ? C’est un excellent acteur et les acteurs, souvent, sont chiants. Pourquoi le lui faire remarquer ? Il essayait, justement, lui, de bien faire. « Il est touchant », avait dit Cédric Andrieux. C’est vrai, Dieu qu’il est touchant ! Mais les acteurs sont fous, parfois ça nous effraye (nous qui en sommes…) Philippe est une merveille de la nature. Mais pour être invraisemblablement naturel, il est aussi invraisemblablement inhumain. Que je m’explique... Il faudrait que je m’explique. (Mais pourquoi m’expliquer, je n’ai rien à dire. Je ne suis pas comme Christine Angot ou Michel Houellebecq, je n'ai RIEN à dire.) La vie est pour lui un territoire impossible. Autant, sur scène, il est exact et performant, il est « à son affaire », autant, dans la vie, il est obligé de reconstituer le miroir, la sphère autour de lui. Ça se fait à la seconde. Et ne le faisons nous pas nous tous ? Oui, mais lui – et n’est-ce pas tout à son honneur ? – en a un peu moins conscience. « Les hommes sont si nécessairement fous… » A La Réunion, la nature est folle et sage. La nature est invraisemblable. Et pourtant elle est. Une autre planète. Cette planète, je l’avais vue en rêve, je l’avais déjà vue. L’autoroute sous les falaises. Les dimensions, la mer dans la mer. Les ouvertures partout. La nature verticale. L’impossibilité de dire. D’en dire. Ça va si vite, mais qu’est-ce que vous voulez dire ? Etudier la botanique… Aimer les hommes, aimer la paresse, aimer la folie. Aimer la bonté. Rencontrer une femme. J’avais lu le livre de Michel Houellebecq, Plateforme, sur le tourisme sexuel, pendant mon séjour. Il est pour, autant le dire, et il est contre l’islam, autant le dire (il le dit assez). Je me demandais comment un livre si réussi pouvait aussi être si triste… Je l’avais laissé à Cédric Andrieux. J’avais été content de rencontrer Cédric Andrieux. Il avait vu mon spectacle et il l’avait aimé. Moi, j’avais beaucoup aimer le sien (celui de Jérôme Bel). (On avait parlé de Jérôme, bien sûr…) Je l’avais dragué, Cédric, comme je fais avec tout le monde surtout les pédés (sans résultats aucun, je le fais toujours mal) et surtout quand j’ai fini un travail, c’est là que je me demande pourquoi je n’ai pas le droit, moi aussi, à une petite fellation… Mais, non. Je ne fais pas partie du monde du sexe. Ça peut revenir, mais, non, tant que ça ne revient pas, je n’en fais pas partie. Mais je ne suis pas aussi triste que Michel Houellebecq. Du moins, son narrateur. On était parti dans l’eau, avec Cédric, il avait un peu froid, je lui avais dit : « Quoi, tu es de la rade de Brest et tu la trouves froide ? » Il a été jusqu’à ses sept ans à Irvillac, c’est drôle. Je le vois très bien là-bas. Irvillac, c’est joli, l’église, le retable… J’adore Philippe. J’aurais voulu le garder comme un enfant. Il me l’avait dit : « Tu devrais avoir des enfants, tu t’y prendrais bien… Tu as un instinct maternel et paternel. » Envers eux, les bichons, certes. Ils voulaient se jeter dans le vide. Ils l’avaient fait, d’ailleurs. Felix en salto arrière, Philippe criant comme une « tafiole ». A La Réunion, c’est-à-dire, tout ce qu’on recherche comme extrêmement rare à la Métropole, vous l’avez, là, à portée de la main. Vous passez les embouteillages de Saint-Denis et puis, voilà, vous avez tout ce que vous voulez. En-veux-tu-en-voilà. On s’est arrêté pour que Philippe prenne une canne à sucre. C’était délicieux de sucer ça. Meilleure qu’une pomme d’amour dans une fête foraine, qu’une barbe à papa !

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