Monday, January 09, 2012

Jean Pierre Ceton

Pourquoi parler en janvier d'un spectacle de décembre ?
(Yves-Noël Genod)

par Jean Pierre Ceton et Alexie Virlouvet



D'abord parce qu'il s'agit d'un des spectacles de Yves-Noël Genod, qui ne sont jamais représentés très longtemps, un ou quelques jours en général. Et puis parce qu'il montera un spectacle bientôt, car en contre partie il en fait assez souvent (plus de 40 depuis 2003). Bien sûr ses spectacles sont tous différents, il dit ne pas savoir chaque fois ce qui va se passer. Mais ils ont sans doute en commun un chemin de désir vers la beauté.
À une semaine d'intervalle, il présentait au Théâtre de la Cité internationale de Paris – je peux / – oui, en deux parties, surnommées, comme l'auraient fait les anciens marxistes : Pratique et Théorie. La pratique, c'est – je peux. Le lieu est une salle désossée dont il reste un grand cube noir à la Régy. Un cube libre, si j'ose dire, parce que Yv-No G nous présente son théâtre dans la liberté. D'ailleurs il nous installe, nous spectateurs, dans la liberté. On peut s'assoir un peu partout autour du plateau, sur les côtés, étant entendu que les comédiens évoluent eux aussi où ils veulent.
Yv-No G a choisi de jouer l'après-midi, pour utiliser la lumière du jour. C'est un point de rupture avec l'instance du théâtre qui en général réclame l'obscurité ou bien la lumière artificielle. Donc à peine les lumières réglementaires s’éteignent que sont enlevés les volets qui obturent les fenêtres situés en hauteur sur les côtés de la salle. Ainsi arrive la lumière modulée par les nuages qui laissent parfois filtrer des rayons de soleil. Alors l’éclairage se fait autant sur le plateau que sur certains spectateurs, qu'on peut prendre pour des comédiens, tout comme certains comédiens, on peut les prendre pour des spectateurs. En tout cas jusqu’à ce qu'il se mettent à bouger. En un premier temps pour s'en aller, de préférence en claquant bien les portes, et en déclenchant tout un ramdam hors du plateau !
Tout est libre, et tout est aussi exagérément libre.
Ensuite quand ils reviennent, c'est pour performer. Yv-No G propose un espace à ses comédiens. Ils viennent avec leurs fringues, avec leurs gestes, mais aussi avec leurs textes, il y a davantage de mots dans ce spectacle. Performer, c'est ce que fait en particulier Marlène Saldana dont la présence, quoi qu'elle fasse, déclenche les rires et/ou la séduction.
La performance s'opère à deux ou à plusieurs, des rencontres de corps pour matérialiser une rencontre d’êtres. Des corps qui se collisionnent, qui peuvent être très liés, se parler en accroche, mais qui déblatèrent seuls. Ou qui s'adressent au public, non qui s'adressent au monde.
Et puis l'envie peut leur prendre de se mettre à saluer. Le numéro du salut, Yv-No G l'avait déjà travaillé, notamment dans son Hamlet. Il se fait en cours de spectacle, il dure longtemps. A la fois il singe le salut des comédiens réglos dans les spectacles du même nom. Et puis il illustre la sortie de la représentation. Puisque c'est par le salut que se relient en général l'instance du réel et celle du théâtre, quand la vie « réelle » réapparait sur le plateau. Là, il se fait surjoué, sans fin prévisible. Ce salut, si représentatif de la représentation, est donc mis en pièces, comme est attaquée la représentation. Yv-No G dit qu'il veut détruire l’idée même de la représentation.
J'y vois un lien avec sa manière de dépasser toute vie privée dans son blogue (Le Dispariteur) ou au contraire de faire que la vie privée soit publique.
Dans – je peux, on était entré sans trop s'en rendre compte, lentement, par enchantement, jusqu'à la pause durant laquelle une coupe de champagne était proposée...
Yv-No G offre toujours du champagne à ses spectateurs. Bien sûr c'est classe, cool, sympa. Mais ce n'est pas anodin. C'est aussi une manière valorisante de considérer le « public », pas tout à fait comme du public, plutôt des invités.
« N'éteignez pas vos téléphones ! » (c'est vrai qu'il suffit de les activer en mode silencieux) dira justement Yv-No G en invite à la 2nde partie du diptyque, avant de s'assoir parmi les spectateurs.
Sans doute pour nous préparer à un voyage, à un itinéraire en tout cas. On retrouve, comme dans – je peux une bande-son très présente, tonitruante, d'opéra, de piano, d'explosions et de bruits divers autant qu'il y a de la fumée qui sort du fumigène. Exagérément. Une fumée qui forme des formes à n'en plus finir. Le « silence » dure, le temps s'écoule. Pourtant on se sent bien, on se sent devenir partie prenante, même si une inquiétude se nourrit de la durée. Car le spectacle ne cesse de commencer jusqu’à la 52ème minute !
Quelques spectateurs se regardent, nous pouffons de rire à plusieurs reprises, d'autres consultent la feuille de salle, comme pour chercher une information sur ce spectacle qui parait ne pas commencer. Sauf à être celui d’une bande-son radiophonique.
La voix de Celeste décrivant les derniers jours de Marcel Proust qui va déclencher une arrivée minimale sur le plateau ? Celle du père, puis de Marlène puis de Yv-No G himself.
Que s'est-il passé pour ce « Théorie, – oui » ? Il a fait intervenir son père et donc la figure du père. Il se pourrait qu'il en ait profité pour radicaliser le propos. Marre de la représentation, comme on dirait marre de tricher... Pour mieux en découdre, il a fait appel à une spectatrice du premier set, en l'occurrence une journaliste de France Culture qui vient dire ce qu'elle y a vu en pratique.
Ce second set d'une certaine façon ne se termine pas. A un moment des coupettes de champ nous sont proposées sans laisser la possibilité d'applaudissements. Aussitôt des conversations s'engagent, des gens partent, d'autres restent.
Il n'est pas si facile de partir, on est sous influence de ce désir de beauté. Comment cherche-t-il à l'atteindre ? Par la liberté à l'égard de toutes conventions. Pourquoi ? Pour que le désir soit l'instance de la vie. Pour que ce théâtre – qu'il fait si beau, si émouvant, si jouissif, si drôle –, soit ce que la vie serait. Que ce théâtre soit la vie. Non plus une instance de représentation, mais la vie.
Qu'on donne un lieu à Yves-Noël Genod, encore qu'il préfère peut-être l'errance ou le voyage. Mais tout de même, qu’il ait un lieu de résidence, c'est ce qu'on lui souhaite, et qu'ainsi il nous donne une sorte de spectacle à longueur d'année !

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