Le contraire de la vérité, c'est la raison
(Olivier Steiner)
Yves-Noël Genod : exercice d'admiration numéro 8
Ce n'est pas faire injure aux autres acteurs
que de le dire haut et fort, la star du spectacle, l'étoile du berger, le point
d'ancrage, l'alpha et l'oméga, Vénus, le nœud autour duquel s'enroule le jeu de
l'amour et du hasard d'Yves-Noël Genod, c'est quand même elle, Vérité Dréville.
Ah, le sourire de Vérité Dréville ! J'en suis tombé amoureux. Ce sourire
qui est un enchantement, sourire « normal » à mi-chemin entre celui
de la Joconde et celui de Ségolène Royal. « Mère de tous les sourires,
sourire de toutes les mères ». Jean Pierre Ceton a eu une très belle
formule : Dréville rit le texte. Peux pas mieux dire. Elle rit les
phrases, dans le texte, dans les maux du texte. Ah si Claude Régy avait choisi
Valérie pour Psychose 4.48 ! Valérie et non Isabelle ! Valérie et
Isabelle ? C'est comme Madonna et Marilyn, c'est toute la différence entre
la chair et les muscles. J'aime bien les muscles, ça peut être sexy, j'aime
bien Madonna et Isabelle. Mais bon, les muscles, on s'en lasse vite et ça
vieillit mal. Quand Valérie arrive sur le plateau et qu'elle s'avance vers
nous, ses yeux dans nos yeux, elle semble dire : Bonjour, je suis une
pâquerette, ça va bien, vous ? Quel genre de fleur êtes-vous, vous ?
Vous voulez que je vous raconte une histoire ? Oui ? Non ? Alors,
voilà, il était une fois... Et puis non, il n'était aucune fois, il ne sera
aucune fois parce qu'une fois c'est jamais, voilà, et sur ce je vais me
suicider. Car j'ai une crise mortelle, moi, vous savez. C'est comme ça ce soir.
Peux rien y faire. Et Valérie sourit, dans le suicide, Vertige Dréville.
Chez Yves-Noël, Valérie, c'est simple, on
dirait qu'elle n'a jamais fait de théâtre. Elle découvre la chose, oublié les
heures de vol sur le plateau, like a virgin, candle in the wind, pourrait-on
dire. Bal d'une débutante. Et pourtant, légers, ils sont là, Vitez, Régy,
Vassiliev. Ils sont là comme des ombres chinoises, des sourires, des épaules
fortes.
A l'Odéon, Vérité Dréville, je l'avais vue se
consumer dans Phèdre, chaque soir.
Au Rond-Point, pas de consumation mais des
départs de feux, multiples. Je pense à Maria Casarès qui disait à la fin de sa
vie : « Je cherche encore. » Le sourire de Valérie s'élargit
parce qu'il cherche encore, il cherche toujours, il est au commencement de la
recherche. Casarès et Dréville, mère et fille, je trouve, fille et mère.
Je pense aussi à Camille Laurens, je vois des
correspondances entre Valérie et Camille. Une même douceur en apparence, une
même force sous la peau, pas du tout vulnérables ces femmes-là, fragiles oui,
épidermiques, mais vulnérables, surtout pas, dans le derme c'est robuste.
Camille comme Valérie ne vous diront rien du malheur ambiant, elle savent trop
bien que c'est l'Impossible à dire, le malheur. Malines qu'elles sont elles
s'arrêtent avant de le dire et c'est tant mieux. Mais tournant autour, en
cercles concentriques de plus en plus petits, de plus en plus précis, elles
arrivent à toucher quelque chose, un ordre juste, quelque chose qui finit par
dessiner les contours de ce malheur dont je parle, qui est là, partout. Et
c'est précieux. Même si c'est terrible à entendre. C'est précieux comme la vie.
Lire et relire le récit de Camille Laurens, Philippe.
Ecrire, jouer, ce n'est pas découvrir un
monde, créer un monde, c'est redécouvrir.
Avec Valérie, je redécouvre. Même le mot le
plus simple comme « argent » ou « passeport », je l'entends
comme si c'était la première fois. Bien sûr, dans ce spectacle Valérie ne
serait pas Vérité Dréville s'il n'y avait sur le plateau et Marlène et
Dominique et Anne et Alexandre, Lorenzo et Philippe. Elle n'est pas seule et ce
qu'elle fait vient des autres, des poules, des plantes et du grillon aussi
bien.
Ah Vérité Dréville, quel bonheur ! Quel
bonheur sans mièvrerie ! J'en ai tellement marre des zombies, des
dépeceurs narcissiques, des collines qui ont des yeux, de l'échelle de Jacob,
de Freddy les griffes de la nuit, Dexter, Merah, etc. Moi je veux des cui-cui
dans les arbres, du miel et de la compote de rhubarbe. Veux des bisous dans le
cou, des petites filles qui rient dans les champs et des pots de colle
Cléopatra. Vraiment ras-le-bol de la barbarie quotidienne. Limite nausée. Je
veux de la délicatesse dans la vulgarité. Je veux Valérie Dréville chez
Yves-Noël Genod. Voilà, c'est dit.
Le contraire de la vérité n'est pas le mensonge, ou l'erreur ou le faux ou la fiction. Le contraire de la vérité, c'est la raison.
Le contraire de la vérité n'est pas le mensonge, ou l'erreur ou le faux ou la fiction. Le contraire de la vérité, c'est la raison.
Labels: rond-point
1 Comments:
N'est pas Duras qui veut!!!
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