Friday, June 22, 2012

Pascale Fautrier parle de la soirée d'hier



THÉMATIQUES DU BLOG


22 Juin 2012 Par Pascale Fautrier

21 juin, 18h55. Vent contraire dans la rue de Rivoli : mon vélo fait du surplace. C'est commencé quand j'arrive au Théâtre du Rond-Point : un jeune homme rose en slip blanc boit déjà l'eau des plantes à même le seau, sur l'air de Norma.
Adoration à la lune dans la forêt sacrée : les herbes guérisseuses ont envahi la scène. Des colibris étincellent sur le jasmin des Florides. Casta Diva, che inargenti queste sacre antiche piante. Les fenêtres sont ouvertes côté jardin, mais je ne vois pas sur quoi. Ca fait un courant d'air avec la lucarne ouverte sur le ciel bleu au-dessus de moi.  Elles sont seules sur la scène. La charnelle, la blonde, l'écrivain-lectrice.  Seules avec le téléphone dans la main. Voici le temps des personnes déplacées. Des hommes-chiens, des hommes-cheval, des hommes-poules. Toujours le même : étonnant acrobate. Qu'est-ce qu'on fait des corps? Elle a perdu son amant, elle erre sur le bord du Lac Léman.  Où suis-je? Qu'est-ce que je fais là?, lit Valérie Dréville. Chaque soir, Valérie Dréville lit des passages de deux livres d'Hélène Bessette : Si, Gallimard, 1964, rééd. Léo Scheer, 1964, Suite suisse, Gallimard, 1965, rééd. Léo Scheer, 2008 (et d'autres de HB). Pionnière du Nouveau Roman, aimée par Duras, Sarraute (wikipedia) Je téléphone. Communication coupée. Interceptée. Un inconnu répond. Voix de gorge. Voix pleine. Et :  I'm sorry. Il y a erreur. Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre. Ils sont seuls. Avec leur téléphone. Alors ils nagent. Et elles tombent. Il paraît que les textes, certains soirs, c'est violent : on entend la guerre qui vient, les mitrailleuses et l'impact des bombes. La haine : Voici le temps des sans-abri, des sans-papiers, des sans-familles, des sans-amis.  
Mais ce soir, c'est après l'orage : tendre. Les pétales de roses par terre. Les feux de la Saint-Jean. Et chaque fois les feuilles mortes /Te rappellent à mon souvenir /Jour après jour les amours mortes /N'en finissent pas de mourir.  L'homme-cheval nage dans l'eau qu'il expulse de sa bouche en nuages. Il pleut. La blonde monte sur le bord de la fenêtre. Je suis dans le courant d'air. La charnelle ouvre son peignoir, montre ses seins (et ses ailes) : oui, Deneuve/Bunuel (on rit beaucoup aussi). La musique du Mépris : elle n'a pas sauté par la fenêtre. A défaut de mort, le grand désespoir de l'exil. Ils sont seuls sur la scène. Pour être libres, il faut un passeport et de l'argent. Mais je les oublie tout le temps dans ma chambre. On est seuls avec eux. Qu'est-ce qu'on fait des corps ? L'air, la terre, l'eau, le feu.Yves-Noël est assis à quelques personnes de moi, je ne l'avais pas vu (depuis cinq ans peut-être) : il a toujours son air d'Iggy Pop enfant. Il dit : je vais vous dire qui sont. On croit : les noms des comédiens (puisqu'il est le metteur en scène). Non : les plantes, sur la scène, différentes chaque soir, côté jardin évidemment. On les appelle des délaissées. Les délaissées des jardins à la française. On entend moins les oiseaux. La circulation des Champs-Elysées entre dans la maison. C'était sa maison de rêve à Yves-Noël,  il nous avait invités et on va se retrouver dehors, expulsés dans la ville. Je me souviens : on avait parlé des femmes qui font la vaisselle dans Nathalie Granger, la maison de Marguerite Duras, et des petits carnets où il note au vol ces dialogues qu'on entend par bribes (ils parlent tout bas dans les coulisses vertes) : non, là, je peux plus tenir, il faut que j'aille faire pipi. Tant pis : Attitude d'esprit : refuser la haine. Retrouver la mentalité des heureux peuples sans guerre, sans invasion. Hélène Bessette.
C'est comme si mon cerveau avait pris l'air. J'achète Si à la librairie. 
Dehors, le vent est tombé, le ciel d'orage est nettoyé. La Seine est bleu clair, le ciel transparent, la lumière éclatante. Le Soleil n'a jamais été si jaune. Sur la passerelle des Arts, une rangée de CRS regardent un groupe chanter A la Bastille, on l'aime bien Nini Peau de Chien. Quelqu'un dit : On dirait que c'est la fin de quelque chose, on dirait que quelque chose de nouveau va arriver.






Je m'occupe de vous personnellement, mise en scène : Yves-Noël Genod, Théâtre du Rond-Point, 19h, jusqu'au 24 juin (dimanche : 15h30). Avec : Valérie Dréville, Marlène Saldana, Alexandre Styker, Dominique Uber, Lorenzo de Angelis, Yves-Noël Genod (la distribution change aussi).

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