Le Jardin de Pierre
J’arrive chez Pierre, le frère de mon père. Je regarde le jardin.
La forêt n’est pas loin et le jardin est beau. Il y a des delphiniums. D’une
couleur violette si intense, fluorescente – ou : veloutée. De la lavande
pour les guêpes et les papillons. Je sonne – toujours à regret du moindre
espace passé, traversé… La vue à jamais, la route à jamais, la seconde à
jamais. L’odorat s’en est allé déjà, je n’ai plus que quatre sens. C’est une
cloche. On vient m’ouvrir presque immédiatement. Il y a du monde. Mais je ne
dérange pas. J’arrive à la fin d’une séance. C’est un club de méditation. Ils
étudient certains passages ardus des Dialogues avec l’Ange. Mon oncle me
l’offre presque immédiatement. (Je ne sais plus qui m’en a parlé récemment,
peut-être Olivier ?) Tout le monde s’assoit pour prendre un jus de pomme,
une part de gâteau crémeux et coloré puis encore de la glace aux fraises, des
dattes… Ce ne sont que des femmes. Pierre est le seul homme. Un club de femmes.
Pierre me demande ce que j’entends par « Jouer Dieu », le titre du
stage. J’explique. Au début, je ne sais comment dire. Puis ça vient, je cite la
Callas, ne pas tricher, Peter Handke, « Faire semblant est une force.
Jouez le jeu – mais qu’il ait de l’âme. » Tout le monde est ébloui parce
que c’est exactement de quoi ils (elles) discutaient avant mon arrivée. Mon
arrivée leur paraît inscrite dans la pierre (la pierre du vide). L’Ange surgit
par ma personne. Ça dure quelques secondes. Puis les anecdotes. Il y a un chat
aussi. C’est toujours à la même heure qu’elle fait la folle, la belle, elle se
frotte le dos sur les graviers du chemin. Je franchis la montagne (col de la
Lèbe) jusqu’au lac du Bourget. Je me baigne. J’arrive chez ma tante, je lui
montre le livre et lui dit que Pierrot me l’a donné. Elle le monte
immédiatement dans sa chambre parce qu’elle croit qu’il l’a donné pour elle.
Mais ça me plaît tellement – dans la pièce, il est à côté d’un petit cœur – que
j’ai envie de le lui laisser. Tout le monde a plus besoin des choses que moi.
Je n’ai besoin de rien. Et encore moins. Je lis dans les Dialogues : « Hanna
voit que la famille renforce ce que j’ai en trop : la matière. » Mon
père m’a donné cent cinquante euros pour la route.
Labels: voyage
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