Tuesday, July 24, 2012

Sur le sentier côtier


C’est très instructif. A cause de la dégradation du temps, du démontage des marées, il y a toutes les étapes de la fabrication d’une mûre : autant de fleurs que de fruits et l’on pourrait prendre une photo de chaque millimètre du passage de la fleur glorieuse, sexuelle avec les insectes et le soleil au fruit succulent, rempli de jus. Je n’avais jamais vu ça. D’ailleurs je n’avais jamais vu non plus les foins dans le champ comme ça. Hier, j’en ai pris une brassée pour m’en faire un oreiller sur la grève, ça a beaucoup amusé, personne ne semblait y avoir pensé. Personne ne semblait avoir vécu le mélange des saisons, la prodigalité de cocagne, la fenaison avec la moisson. Les naissances et les jeunes filles qui sont les mêmes, le remplacement des présences, la reconduction du même. « L’éternité existe », j’ai dit à ma tante Hélène, ma marraine, ce qui a été traduit par : « On est éternel ». Je n’ai pas dit ça ! Nous sommes de passage, au contraire, mais l’éternité existe puisque des gens naissent quand des gens meurent. Il n’y a rien d’individuel là-dedans. C’est très intéressant, pour moi, de voir l’obsession  obsession n’est pas le mot – la méticulosité de Claude Régy à ramener la folie et la mort au centre du théâtre, au centre du monde et de la vie. C’est très intéressant parce que cela repose, je le sais, je l’ai constaté, exactement sur  une peur épouvantable qu’il travaille à surmonter, sur une terreur qu’il regarde de front. Tout ensemble. « Tout vit », la phrase de Leslie Kaplan que je cite souvent, je l’ai re-citée hier quand ma cousine Emmanuelle parlait des cultures du virus du Sida qu’elle faisait, à un moment, dans un laboratoire de verre. Elle devait les nourrir, ses petits animaux, avec des lymphocytes qu’elle prenait dans le surplus des donneurs de sang et, une fois, il y avait eu de la neige (à Brest !), il n’y avait pas eu de don et, par voie de conséquence, ses cultures avaient toutes crevé. Mes cousines sont merveilleuses, je parle toujours de « mes cousines », bien que l’une soit morte depuis quelques années, mais c’est un ensemble vivant (Philippe le Guilllou a écrit un livre sur elle, Hélène – et ma sœur Pascale – Fleurs de tempête, chez Gallimard). Emmanuelle a la tête toujours plus ressemblante au faciès de la Bretonne de carte postale, la tête solide, les pommettes hautes, la bonne santé, la blondeur de blé ; elle portait un cache-cœur de velours, hier soir, près de la porte à l'encadrement de granit, un boléro qui laissait voir, comme dans un costume folklorique, un décolleté – repris aussi par ses filles. Pierre portait un T-shirt avec des écrits à l’envers de « Leonardo », mais il ressemblait, pour moi, quand je l’ai vu dans la belle lumière de huit heures du soir, dans l’eau, au garçon un peu trapu du célèbre tableau de Seurat, Baigneurs à Asnières.

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