Sur le sentier côtier
C’est très instructif. A
cause de la dégradation du temps, du démontage des marées, il y a toutes les
étapes de la fabrication d’une mûre : autant de fleurs que de fruits et
l’on pourrait prendre une photo de chaque millimètre du passage de la fleur glorieuse, sexuelle avec les insectes et le soleil au fruit succulent, rempli
de jus. Je n’avais jamais vu ça. D’ailleurs je n’avais jamais vu non plus les
foins dans le champ comme ça. Hier, j’en ai pris une brassée pour m’en faire un
oreiller sur la grève, ça a beaucoup amusé, personne ne semblait y avoir pensé.
Personne ne semblait avoir vécu le mélange des saisons, la prodigalité de cocagne, la fenaison avec la moisson. Les naissances et les jeunes filles qui
sont les mêmes, le remplacement des présences, la reconduction du même.
« L’éternité existe », j’ai dit à ma tante Hélène, ma marraine, ce
qui a été traduit par : « On est éternel ». Je n’ai pas dit
ça ! Nous sommes de passage, au contraire, mais l’éternité existe puisque
des gens naissent quand des gens meurent. Il n’y a rien d’individuel là-dedans.
C’est très intéressant, pour moi, de voir l’obsession – obsession n’est pas le mot – la méticulosité de Claude
Régy à ramener la folie et la mort au centre du théâtre, au centre du monde et
de la vie. C’est très intéressant parce que cela repose, je le sais, je l’ai
constaté, exactement sur une peur
épouvantable qu’il travaille à surmonter, sur une terreur qu’il regarde de
front. Tout ensemble. « Tout
vit », la phrase de Leslie Kaplan que je cite souvent, je l’ai re-citée
hier quand ma cousine Emmanuelle parlait des cultures du virus du Sida qu’elle
faisait, à un moment, dans un laboratoire de verre. Elle devait les nourrir, ses
petits animaux, avec des lymphocytes qu’elle prenait dans le surplus des
donneurs de sang et, une fois, il y avait eu de la neige (à Brest !), il
n’y avait pas eu de don et, par voie de conséquence, ses cultures avaient
toutes crevé. Mes cousines sont merveilleuses, je parle toujours de « mes
cousines », bien que l’une soit morte depuis quelques années, mais c’est un ensemble vivant (Philippe le Guilllou a écrit un livre sur elle, Hélène – et ma
sœur Pascale – Fleurs de tempête,
chez Gallimard). Emmanuelle a la tête toujours plus ressemblante au faciès de
la Bretonne de carte postale, la tête solide, les pommettes hautes, la bonne
santé, la blondeur de blé ; elle portait un cache-cœur de
velours, hier soir, près de la porte à l'encadrement de granit, un boléro qui laissait voir, comme dans un costume folklorique,
un décolleté – repris aussi par ses filles. Pierre portait un T-shirt
avec des écrits à l’envers de « Leonardo », mais il ressemblait, pour moi,
quand je l’ai vu dans la belle lumière de huit heures du soir, dans l’eau, au garçon un peu trapu du célèbre
tableau de Seurat, Baigneurs à Asnières.
Labels: voyage
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