Thursday, December 20, 2012

La Casa que quieras donde la quieras



Llevaban ellos sendas escopetas, Ils portaient chacun un fusil de chasse, j’apprenais la grammaire espagnole avec un livre en français que j’avais trouvé dans une librairie d’occasion, Nouvelle grammaire espagnole, de chez Nathan, 1985. Bref, je retournais à l’école, mais c’était l’école de la nature : j’étais dans la région de Tepotzlan, au-dessus du studio de cinéma de Carlos Reygadas. Je m’étais déshabillé, j’étais allongé sur les aiguilles d’un bois de pins. L’air était frais et suave comme au bord de la mer, en Bretagne, les belles journées. On entendait les bruits de la journée, les bruits de midi très dilués tellement, en effet, la région était vaste et calme comme au bord de la mer. Cristian devait faire des essais dans ce studio et Eva avait proposé — puisque j’aimais tant le dernier film de Carlos Reygadas (que j’avais déjà vu 2 fois) — que je l’accompagne. J’étais très attiré et intimidé car la région — l’une des plus belles du monde — est sublimement filmée dans Post Tenebras Lux. Les montagnes — volcanique, mais Cristian n’était pas sûr * — me rappelait dans leur formes inédites et miraculeuses, sculptées, celles que j’imaginais du Vietnam. Dans la voiture, on avait d’abord écouté les Swans, puis un très bel exposé de Michel de Certeau sur les anges **. A une phrase qui disait : « le désir violent, comme ça, qui est l’origine de tout », Cristian s’exclamait : « Je le savais ! » et me demandait de noter ce passage. Oui, le désir violent qui est à l’origine de tout et Cristian était l’homme et, moi, j’étais l’ange ! Quant à Carlos Reygadas, il était le plus aimable des dieux, mon nouveau Dieu, mon nouveau départ d’« adoration » (comme l’avait bien remarqué Aurélie Charon). Il faudrait que je réécoute cet enregistrement car ce qui y était dit était magnifique et magique. A un moment, Michel de Certeau parlait des premiers anges qui étaient des anges musiciens : « il dit qu’il y a du dire, musicalement ». Puis était apparu l’ange écrivain. Mais Michel de Certeau disait encore qqch de très beau à propos de cette écriture : « ça s’écrit au fur et à mesure que l’ange disparaît ». C’est ce que je retrouvais maintenant, que j’avais noté dans les soubresauts de la voiture. Carlos Reygadas m’avait parlé de la difficulté d’apprendre l’espagnol, je disais qu’en effet, je ne comprenais pas grand chose à ce qui se passait autour de moi, mais que, justement, j’avais ce plaisir intense, avec le cinéma, de ne pas comprendre. Je lui disais que je ne comprenais même pas qu’il n’y ait pas, à Paris, une salle de projection de copies originales sans sous-titres, tellement, pour moi, le plaisir était intense de voir les films (à l’étranger) sans en comprendre un mot. Il était d’accord, lui aussi disait qu’il aimait ça. A l’étranger, je me précipitais dans les salles. 
...
J’avais changé de coin. Les chiens de la vallée s’étaient inquiétés de ma présence dénudée étrangère (parlant français aux perros). J’avais quitté le bois de pins et j’avais grimpé plus haut, plus haut vers l’Ange, sur la montagne mystique. J’avais remarqué, à Tepotzlan, l’indication d’une « Valle Mistico ». Un village — ou un hôtel — dont Cristian m’avait dit qu’il était pour les touristes. De toute manière, touristes, oui, de la réalité, nous l’étions ; n’avions-nous pas imaginer que Dieu nous avait placé dans son jardin ? Oui, nous ne savions pas trop quoi faire en ce jardin et de notre présence abandonnée, mortelle, individuelle, « consciente », mais, certains le savaient mieux que d’autres : Carlos Reygadas... Et même si « Les Inrocks » m’avaient placé dans le Top 5 des critiques du journal pour l’année 2012 — et avait détruit, saccagé le film de Reygadas (je crois que le mot « navet » avait été prononcé), je ne saurais, vous l’avez compris, trop vous conseiller d’épouser comme moi la cause de ce cinéaste ; le critique qui m’avait placé dans son Top 5, Jean-Marc Lalanne, n’avait-il pas placé avant moi — médaille d’or, j’avais celle de bronze — un spectacle que j’avais détesté au point d’en avoir parlé ici et fait de la peine à son auteur avec qui, je l’avais oublié, j’étais ami sur Facebook ? On n’en finirait jamais de disserter sur les effets pervers et bénéfiques de Facebook. J’avais récemment supprimer de mes « amis » Patrick Sommier, le directeur de la MC93 (de Bobigny) parce qu’il n’en pouvait plus de soutenir Gérard Depardieu, de le défendre bec et ongles et, franchement, je ne voyais pas, là, ce qu’il y avait à défendre de Gérard Depardieu. Philippe Torreton avait peut-être moins de talent, mais, au moins, il était de gauche. Gérard Depardieu, c’était (maintenant) la droite dure. La droite, la gauche, c’était toujours ce problème, et je sentais que, dans l’époque en crise qui allait s’amplifier, cet antagonisme allait s’exacerber. C’était inévitable. Pour le moment, je me plaçais dans la gauche molle et Depardieu dans la droite dure. Il n’y avait ni « lynchage » ni « talent » dans cette histoire, uniquement la guerre.






* En fait, comme l’a expliqué plus tard Carlos Reygadas, c’est de la cendre agglomérée et érodée. C’est d’une beauté infinie, comme des châteaux,  une ville de science-fiction qui entoure la maison de Carlos Reygadas. « Infinie » parce qu’on ne se baigne jamais deux fois dans la lumière qui sculpte — comme les cathédrales de Monet — ces montagnes. Infinie et tragique.

Le jardin (infini) qui entoure cette maison de bois comme suspendue dans le paysage au dessus d’une piscine d’eau de pluie (où je me suis baigné) ferait s’évanouir Gilles Clément (que ne connait pas Carlos Reygadas), « jardin planétaire », « jardin en mouvement », « tiers paysage », « homme symbiotique »...

** On trouve ici cet exposé.

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