Comme un Rimbaud
« Encore enfant, quitter mon pays, mes parents, mes appuis, mes ressources ; laisser un apprentissage à moitié fait sans savoir mon métier assez pour en vivre ; me livrer aux horreurs de la misère sans avoir aucun moyen d’en sortir ; dans l’âge de la faiblesse et de l’innocence, m’exposer à toutes les tentations du vice et du désespoir ; chercher au loin les maux, les erreurs, les pièges, l’esclavage et la mort, sous un joug bien plus inflexible que celui que je n’avais pu souffrir ; c’était là ce que j’allais faire, c’était la perspective que j’aurais dû envisager. Que celle que je me peignais était différente ! L’indépendance que je croyais avoir acquise était le seul sentiment qui m’affectait. Libre et maître de moi-même, je croyais pouvoir tout faire, atteindre à tout : je n’avais qu’à m’élancer pour m’élever et voler dans les airs. J’entrais avec sécurité dans le vaste espace du monde ; mon mérite allait le remplir ; à chaque pas j’allais trouver des festins, des trésors, des aventures, des amis prêts à me servir, des maîtresses empressées à me plaire : en me montrant j’allais occuper de moi l’univers ; non pas pourtant l’univers tout entier, je l’en dispensais en quelque sorte, il ne m’en fallait pas tant ; une société charmante me suffisait, sans m’embarrasser du reste. Ma modération m’inscrivais dans une sphère étroite, mais délicieusement choisie, où j’étais assuré de régner. Un seul château bornait mon ambition : favori du seigneur et de la dame, amant de la demoiselle, ami du frère et protecteur des voisins, j’était content ; il ne m’en fallait pas d’avantage. »
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