Français / allemand
« Les mots français ont cette grâce que quiconque n’a pas fait de linguistique ne sait pas ce que ça veut dire. Donc ça leur confère une espèce de, oui, de noli me tangere, ne me touche pas, de distance qui est merveilleuse. (...) Je suis saisi par l’extraordinaire amplitude du français. Le français est à la fois une langue d’une exceptionnelle clarté et d’une exceptionnelle opacité. Il y a toujours un contexte émotif derrière, il y a une espèce de vibration mystérieuse, un sous-entendu qu’il y a dans tous les mots simples allemand de la même manière, mais plus dans les compositions verbales. Et le français, grâce au recours perpétuel qu’il fait au grec et au latin, a conservé cette espèce d’aura. Le mot « trouble », par exemple. Y a des tas de mots, « quiétude » ou bien « déréliction »... Y a des tas de mots, comme ça, qui sont tout à fait étonnants, une espèce de mystère. (...) Je vis dans la comparaison constante de mes 2 langues maternelles. J’ai cette chance d’avoir vraiment ces 2 langues qui sont des langues d’enfance. »
« Vous savez, le français est une langue éminemment mystérieuse. C’est une langue d’une extraordinaire clarté et plus c’est clair plus y a de l’émotion derrière. Il y a une espèce de fond velouté étrange. C’est une langue du soir. L’allemand est une langue du matin, (...) une langue verte orientée vers le soleil levant et le français est une langue du soir, de la conversation devant une grande fenêtre ouverte, le soleil couchant. Il y a une espèce de trouble profond dans cette langue qui m’a conduit, par cette espèce d’extraordinaire propriété des mots français, à pouvoir suivre cette solitude (...), cette espèce de ligne de la promenade solitaire. Les Rêveries du promeneur solitaire, qui sont un des très, très grands livres qu’on n'ait jamais écrit, est au fond un livre sur la langue française, sur la façon dont cette langue étrange se promène dans l’espace. Je crois au mystère des langues. Et le mystère des langues, c’est justement le fait que chaque langue a ses solitudes. L’allemand à la solitude de Karl-Philipp Moritz et de Kleist, une solitude beaucoup plus taillée, beaucoup plus prise dans le roc, une solitude pénible, dure, dramatique. C’est magnifique, d’ailleurs, extraordinaire. A une exception près, c’est l’admirable « propre à rien », le Taugenichts de Joseph von Eichendorff. Cette admirable histoire de ce jeune homme qui avec son petit violon se promène jusqu’à l’Italie, ce qui est une exception extraordinaire dans la littérature allemande. D’habitude les solitudes sont laborieuses, pénibles, alors que les solitudes françaises ont qqch de souverainement détaché. C’est des solitudes de pays riche. Il suffit de suivre Jean-Jacques Rousseau littéralement de pâtisserie en pâtisserie. Le nombre de pâtisseries qu’ils y a dans Les Confessions est surprenant. Ou de gens qui mangent à leur faim. Alors que l’Allemagne avait, à cette époque-là, sombrer dans une misère épouvantable issue de la guerre de 30 ans. Et pourtant c’est la même solitude. Et on revient à la différence entre Moritz, Anton Reiser, et Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, une solitude, je dirais heureuse, orange, de couleur riche et une solitude bleue dans la pénibilité de la naissance. »
« La richesse des langues commence là où elles s’arrêtent. »
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