Thursday, February 07, 2013

Acteurs inconnus



On travaillait encore sur les images d’Avenue Fuck. Comme c’était long... Marie était très contente d’un système qu’elle devrait breveter. Elle utilisait des photos que j’avais faites et elle les fondait l’une dans l’autre (et parfois dans la même) grâce à d’infinis fondu-enchaînés, ce qui donnait une chose d’ultra-contemplation qui ne ressemblait à rien, au sexe et à tout. Elle appelait ces espaces les « Richter ». Il y avait les traces sur les murs, la pièce au miroir, les tapisseries, les draps, tout était sexe. En fait, tout était sexe, quand on avait le sexe en tête, tout était sexe, la moindre fissure, la prise femelle, l’eau du marbre, le trou... Elle me disait : « En fait, on pourrait dire que t’inventes le porno contemplatif. » « Allo, bonjour Madame Vachette... », l’interrompait son dentiste. Madame Vachette ! On parlait de son nom merveilleux (qui était un problème quand elle était petite, mais qu’elle aimait bien depuis qu’elle était grande). On nommait d’autres gens, comme ça, avec des noms imagés : Max Potiron, Marion Abeille, Charles Chemin, Gwenola Wagon... Marie voulait à tout prix que je rajoute à la liste une amie à elle, ou une amie d’amie, ou, plutôt, si mon souvenir est bon, une ennemie d’amie — oui, c’était par méchanceté —, enfin, une fille qui s’appelait Sophie La Bite ! Bon, mais je ne la croyais pas. Sophie La Bite ! C’est du niveau des blagues de Samuel Beckett ! A propos de blague, « Dior Homme », à l’envers, ça fait « hémorroïdes ». Si, si. Emmohroid. J’avais vu Patricia Brulhart avec qui je fais qqch qui s’appelle la méthode Grinberg et elle m’avait parlé du « point zéro », en physique quantique, c’est-à-dire ce point qui permet de n’être ni purement dans une chose ni purement dans une autre. Par exemple un trou noir, on dit maintenant qu’il n’est pas vraiment noir (mais gris) puisqu’au niveau quantique, avec cette loi du point zéro, il y a quand même des échanges, des choses qui sortent du trou noir. Beckett : « Il fait gris que tu as dit, gris ? (C’est l’aveugle qui parle.) — Noir clair ! Dans tout l’univers. » Patricia m’avait demandé aussi ce que je pourrais faire si je ne faisais plus comédien (comme ça se profilait), j’avais dit : « la nature, m’occuper des animaux ». Et, le soir, Marie m’emmenait voir un film qui s’appelait Bestiaire, de Denis Côté, un Québécois, avec « acteurs inconnus », comme disait AlloCiné. Elle me disait : « C’est la même chose que ce que tu fais avec le sexe, sauf que lui, c’est avec des animaux ; c’est contemplatif. » Le réalisateur qui présentait son film parlait de « livre d’images ». Il disait aussi (quand, plus tard, il y avait le débat) qu’il fallait « trouver une solution hypnotique au film ». Il avait beaucoup travaillé le son. Il avait demandé à l’artiste — ou l’artisan — qui travaillait avec lui : « Fais planer une menace sur tout le film. » C’était le son qui inventait ce hors-champ de la menace qui n’existait pas dans les images. Il l’avait fait parce qu’il pensait qu’il fallait amener une fiction pour que son film soit supportable pour le spectateur — et qu’il ne soit pas un documentaire — de toute façon, il ne croyait pas aux « documentaires ». Il disait aussi que sa vision du zoo n’était ni bien ni mal, il s’en fichait des zoos et des animaux, il n’aimait ni ne détestait les animaux, d’ailleurs, mais, lui, sa vision du zoo, c’était que c’était un endroit « absurde ». Et, en effet, j’avais pensé à Beckett pendant tout le film. Moi, j’aime beaucoup les animaux — et j’avais aimé ce film absurde... 

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