A une journaliste
Oui, bien sûr que je suis
partant !
Pour moi, la beauté existe,
mais l'autre beauté, elle aussi,
existe sans doute... Et puis la diversité, la diversité des apparences, la
diversité du monde des apparences, si l'on croît à l'unité (du sensible, comme
dit Pythagore, repris par Nerval : « Tout est sensible »), il faut la
montrer. On me dit que c'est une idée allemande ou du Nord, de dramaturgie du
Nord, de montrer le monde (sur scène). Je recherche des Noirs en ce moment,
pour la Ménagerie (j'ai travaillé avec Papy Ebotani et Dinozord, une année, à
Versailles, grâce à Philippe Chamaux qui me les avait fait venir et ça a été
les plus beaux interprètes auxquels j'ai eu accès). Mais je cite aussi souvent
Noureev : « Je me sentais léger et je plaçais mon corps à l'endroit de la
légèreté. » C'est comme ça que je vois les choses, un placement du corps
dans des endroits, dans des endroits, en fait, de l'esprit. Ou de la sensation.
Du cœur, si on y arrive. Ou Isabelle Adjani qui a dit qu'à un moment, elle a
senti qu'elle pouvait choisir d'être
belle ou d'être laide. La tristesse du monde, c'est quand les gens croient à
leurs complexes (les petites bites, pour les hommes, on se disait avec Bénédicte
Le Lamer qui m'assiste pour le stage, ça semble quand même le problème). C'est
tout d'un coup un fardeau et une tristesse. Mais ce n'est pas les corps en
eux-mêmes qui m'intéressent, c'est la vie qui les traversent et la variété de
leurs apparences changeantes, frissonnantes de changement... On ne se baigne
jamais 2 fois dans le même fleuve — parce que le fleuve change et nous aussi.
La multiplicité des apparences et, à l'intérieur de ces apparitions, « le
secret le mieux partagé du monde car il l'est par tout le monde » (François
Tanguy). Quand qqch est beau sur scène, ça pourrait en effet être le fait de n'importe
qui. Ça me le fait toujours, ça. Mais
ne pas tricher est si rare. Marie-Agnès Gillot ne triche pas, mais mon père ne
triche pas. Il faut que les interprètes créent leurs espaces et s'y placent
dedans (comme dans un gant). Comme le dit le poème Theory, de Wallace Stevens : « I am what is around me. »
« Je suis ce qui m'entoure. » Et il continue : « Women
understand this. / One is not duchess / A hundred yards from a carriage ».
J'aime beaucoup que, dans ce poème, Wallace Stevens disent que les femmes sont
en général plus fortes que les hommes pour ce métier. (Elles savent ce que
c'est qu'une robe.) Mais encore, par ex, Stephen Thompson, l'autre jour,
danseur sublime, magnifiquement a rempli d'eau la Ménagerie de verre et a dansé
dans ce réservoir comme dans les mers multiples de Shakespeare (« The
multitudinous seas incarnadine ») ou bien dans l'Eros des Grecs (divinité
liquide)... J'espère que nous aurons cette chose inouïe et vraie dans le
spectacle que je prépare en remplacement de celui de Jérôme Bel pour débuter
Les Inaccoutumés... D'abord l'environnement, ensuite la vie (ou la danse...)
Je m'aperçois que vous n'étiez
plus dans mon carnet d'adresse, ça arrive pas mal, ces disparitions
(malheureusement) ! Vous avez loupé qq étapes : inventez-les ! ce sera parfait
!
Yves-Noël Genod
Et là où je me situe : « J’aime le théâtre, mais je suis amoureux de la danse... »
(j'ajoute...)
Merci à vous,
YN
Labels: correspondance
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