Thursday, November 14, 2013

Thibaudat


Jean-Pierre Thibaudat




Yves-Noël Genod, jeteur d’imprévus, ouvre le festival « Les inaccoutumés »

J-P Thibaudat



C’est le fruit du hasard, mais le festival « Les Inaccoutumés » à la Ménagerie de verre se devait de s’ouvrir par Un petit peu de Zelda, spectacle impromptu signé Yves-Noël Genod : tous les spectacles de YNG sont des impromptus.



Un jeteur d’imprévus

Les dictionnaires donnent huit synonymes au mot inaccoutumé : étrange, insolite, anormal, exceptionnel, inattendu, inhabituel, original, rare. Chacun de ces mots raconte un pan des spectacles d’YNG, star de la marge, notoirement connu de son petit public (qui est aussi celui de son blog) et notoirement méconnu du grand public.

Chacun de ses spectacles (je n’ai pas tout vu, loin de là) est comme une feuille, voire deux, d’un roman théâtral qui restera inachevé. L’inachèvement est constitutif des spectacles d’YNG, le fini son ennemi. Sur le chemin de chacun de ses impromptus, il jette de l’imprévu comme on jette du sel sur le feu pour le faire crépiter.

Dans Un petit peu de Zelda déboulent 2 enfants, plus tard un bébé, ou encore un homme simplement vêtu d’un haut de jogging qui saute comme un cabri en se tenant les couilles et le gland qu’il cachera au salut d’une perruque, de bout en bout un chien en peluche regarde comme nous ce qui se passe au cœur de cet espace étrange (inaccoutumé) qu’est la salle de la Ménagerie de verre.



Une ode à la sensualité d’un lieu

Un petit peu de Zelda est une ode à la sensualité que génère ce lieu insolite (inaccoutumé). Une salle (quelques gradins pas bien larges, 80 places environ) et, devant, une scène comme infinie, basse de plafond, plus profonde que large, pourvue d’une porte dérobée vers le bout du mur de droite. Le plafond lui-même n’est pas plat mais strié dans sa largeur de poutres en ciment. Le tout est peint en blanc.

La sensualité commence par la lumière. Tout spectacle commence quand on fait le noir mais, d’une part, les noirs de la Ménagerie de verre sont plus profonds qu’ailleurs (on est pleinement dedans), et, d’autre part, YNG les laisse vivre, s’installer, nous envelopper. Puis, invisible mais proche, comme un enfant écoute yeux fermés avant de s’endormir un conte que lui dit un adulte, YNG nous dit, doucement, un poème de Baudelaire. Causerie, un sonnet d’une insondable beauté :

« — Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ; / Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé / Par la griffe et la dent féroce de la femme. / Ne cherchez plus mon cœur ; les bêtes l’ont mangé. »

Cette entrée en matière tient lieu de fond au spectacle, un peu comme ces peintres qui peignent un fond avant de peindre leur toile. Genod et son éclairagiste complice Philippe Gladieux ont disposé sur le sol comme une forêt ordonnée de 24 projecteurs, un pour chaque heure du jour et de la nuit. Un jardin, un verger. Les corps évolueront là, éclairés par des nuages de lumière qui vont et viennent et où soudain le fût-brasero d’un projecteur brûle verticalement de son feu.



L’acteur promeneur, des spectateurs à la promenade

La sensualité se poursuit par l’irruption des corps dans ce paysage dont la lumière caresse la blancheur née de l’obscurité. Une grande Américaine (Kate Moran) pantalon noir, veste ouverte sur sa poitrine nue, hauts talons, fume une cigarette. Elle semble attendre quelque chose, quelqu’un. Souvent dans les impromptus d’YNG, une femme attend. L’être aimé ou disparu, la tristesse du soir, l’aube au terme d’une nuit ravinée ? On ne saura jamais. Plus tard un petit homme brun (João Costa Espinho) n’en finira pas de ne pas mettre son costume : pour sortir à une soirée ? aller à un enterrement ? On ne saura pas. Il n’y a rien de déterminé chez YNG, ses spectacles sont des promenades où les acteurs sont des promeneurs, où le spectateur est à la promenade. Un chien peut débouler entre vos jambes, on peut marcher dans une flaque d’eau, croiser des hommes beaux, suivre indéfiniment la nuque d’une femme.

La sensualité s’achève (non rien ne s’achève dans Un petit peu de Zelda) ou plutôt commence avec les voix. Aucun mot dit dans Un petit peu de Zelda hormis les poèmes de Baudelaire (YNG mugira aussi Les Phares). Mais des mots criés (en langue américaine par l’Américaine) et surtout d’autres chantés à la promenade par un contre-ténor (Bertrand Dazin) et une soprano (Jeanne Monteilhet). Sublime, envoutante, baudelairienne Jeanne Monteilhet qui irradie la soirée.



A chacun son récit

Que raconte Un petit peu de Zelda ? Rien. C’est-à-dire que chacun y puise un récit, le sien. Quelqu’un m’a raconté :

Cela se passe dans le jardin d’une maison de fous où un couple au bord de la rupture que forment un contre-ténor et une soprano sont venus donner un concert. Il y a là une actrice qui se prend pour Zelda, la femme de Joyce, et qui lui a emprunté ses yeux, ses cigarettes, une autre qui se prend pour Frida Khalo et lui a emprunté une jupe et un ananas, un troisième au nom portugais qui s’habille comme Fernando Pessoa, un acteur qui aime tellement le noir qu’il ne veut plus dire ses textes que toutes lumières éteintes.

Une autre personne m’a raconté tout autre chose :

En entrant dans la Ménagerie de verre, m’a-t-elle confié, j’ai vu sur une étagère un livre qui me regardait : Quelqu’un que vous avez déjà vu, un livre de poèmes de John Ashbery (publié chez POL). Je l’ai ouvert et j’ai lu :

« Nous sommes soudain ce que les arbres essayent / De nous dire ce que nous sommes ; / Qu’il leur suffit d’être là / Pour signifier essayent quelque chose ; que bientôt / Nous pourrons toucher, rimer, expliquer. »

Alors je n’ai pas été étonnée quand j’ai vu tous ces projecteurs-arbres sur le plateau. Et à la fin de Un petit peu de Zelda je me suis souvenue d’un des derniers poèmes d’Ashbery où il est question de l’amour et de ses vieux yeux, oui « Les vieux yeux de l’amour » aurait pu être aussi le titre de cet impromptu inaccoutumé, m’a-t-elle dit, avant de filer dans la nuit.



INFOS PRATIQUES

Un petit peu de Zelda
spectacle conçu et mis en scène par Yves-Noël Genod

—  Le spectacle se donne à la Ménagerie à 20h30 jusqu »au 14nov. «  C »est un ajout au projet «  Ier avril  » qui sera présenté du 1er au 12 avril 2014 aux Théâtre des Bouffes du Nord  » précise YN Genod.

— Le festival Les Inaccoutumés se poursuit jusqu »au 7 décembre, programme détaillé sur le site de la Ménagerie de verre

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