Saturday, January 04, 2014

L es Non-lecteurs


« Un écrivain, qu’est-ce que c’est ? Il écrit, bien sûr il écrit pour des lecteurs, un écrivain, mais qu’est-ce que ça veut dire « pour » ? ça veut dire : « à l’intention de ». Un écrivain, qu’il soit… il écrit à l’intention de lecteurs, en ce sens il écrit pour des lecteurs. Il faut dire aussi que, l’écrivain, il écrit pour des non lecteurs, c’est-à-dire pas « à l’intention de », mais « à la place de ». « Pour » ça veut dire 2 choses, ça veut dire « à l’intention » et puis ça veut dire « à la place ». Alors, Artaud a écrit des pages que tout le monde connaît : « J’écris pour les analphabètes. J’écris pour les idiots… », Faulkner écrit pour les idiots… Ça veut pas dire pour que les idiots le lisent, ça ne veut pas dire pour que les analphabètes le lisent, ça veut dire : à la place des analphabètes. Je veux dire… « j’écris à la place des sauvages », j’écris à la place des… « j’écris à la place des bêtes ». Et qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Pourquoi on ose dire une chose comme ça ? « J’écris à la place des analphabètes, des idiots, des bêtes… » Eh ben, parce que c’est ça que l’on fait à la lettre quand on écrit. Quand on écrit, on ne mène pas une petite affaire privée. C’est vraiment les connards, c’est vraiment l’abomination de la médiocrité littéraire — de tout temps, mais particulièrement actuellement — qui fait croire aux gens que, pour faire un roman, par ex, il suffit d’avoir une petite affaire privée, sa petite affaire à soi, sa grand-mère qui est morte d’un cancer ou bien son histoire d’amour à soi et puis voilà et puis on fait un roman. Mais c’est une honte, c’est une honte quand c’est des choses comme ça ! C’est pas l’affaire privée de qq’un, écrire, c’est vraiment se lancer dans une affaire universelle, que ce soit le roman ou la philosophie, hein. »

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