R erun : Jouer Dieu
L'Afdass
de Lyon n'a pas compris le texte de présentation publicitaire et le titre du
stage que je vais donner au mois de juin. Il s'agissait donc de réécrire un
texte — plus explicatif, mais pire, en un sens (plus dur à comprendre). Un
autre titre aurait été possible : Le Stage secret
Jouer Dieu
Rêver les
mondes pluriels
« Ce que
nous sommes tous est totalement illimité et le choix est infini. Mais le rôle
est limité et il n'a pas de choix. »
Il ne faut
pas entendre par « Jouer Dieu » un caprice mégalomaniaque aux relents sectaires
car il s'agit là d'une chose concrète (jouer) et ambitieuse (Dieu) qui ne peut
avoir d'autre nom que d'absolu. Tout le travail de ce stage sera de sortir de
l’idée d’apprentissage pour se situer dans une dimension métaphysique. Que les
stagiaires goûtent directement l’essence de leur art. L'acteur n'est pas
l'objet, mais la source même ; il n'y a rien à faire pour « être » : l'acteur
doit être cette source.
En
décalage avec la méthode Stanislavski qui cherche à atteindre un réel, ici le
réel est déjà là et estompe toute distinction entre « être » et « faire ».
L'enjeu pour le stagiaire est donc de se rendre disponible à ce qui lui arrive,
mais surtout à l’immédiat déjà là. L’inconnu. C’est l’intérêt de Dieu. Dieu
veut jouer. Le travail consistera à autoriser la liberté à sortir de sa boîte.
(Boîte spirituelle et dorée, mais boîte – crânienne – tout de même.) La liberté
est le maître-mot. Je dis toujours aux acteurs que j’emploie que le
spectacle sera perçu comme une leçon de liberté – ou non. Expérimenter
que cette liberté n’est pas une notion abstraite, mais, au contraire, l’art
même de l’acteur est l’un des objectifs de ce stage. Qu’elle est même peut-être
la seule chose qui soit vraiment spectaculaire. Elle est ce sur quoi l’acteur
peut (toujours) compter. Ce à partir de quoi on l’appréciera. Elle est cette
puissance que l’acteur ne doit jamais trahir et la raison qu’il a de faire ce
métier.
L’ambition
de ce stage posée, on entend très bien qu’il ne saurait être question d’un
enseignement professoral duquel l’élève tirerait une technique ré-utilisable.
Ce que nous tenterons est bien plus fragile et frivole, mais aussi plus
exigeant. C’est à la fois très sérieux et très léger. C’est à la fois facile
comme tout et impossiblement difficile. De cette manière, ça ne se
trouve que dans la joie. Pas dans l’effort. La disponibilité ne se convoque
pas, ne se travaille pas, c'est un état d'être-monde (et non « d'être au monde
»). Mais la disponibilité est déjà là et c’est en même temps la seule «
technique » de l'acteur. En ce sens, l'ambition de ce stage — comme technique —
est réutilisable à l'infini. J’aime les acteurs parce qu'ils sont les savants
du monde. Tout le monde joue, mais les acteurs en font l’étude. Ils sont, par
définition, en présence du plus grand acteur qu'on ait jamais connu : la vie.
C’est ce genre de notion et de considération qui sera abordé dans ce stage. Non
pas l’amour du monde, mais l’amour du jeu. Le jeu qui joue le monde. Qui joue
au monde. La Source veut jouer. Et ces quelques lignes posées cavalièrement
montrent aussi que ce stage ne peut s'adresser qu’à des personnes douées de
pleine santé psychique et capables de s'accorder – par avance – ces plus
grandes libertés. Acteurs expérimentés ou, tout au contraire, jeunesse au
sortir de l’adolescence. Le fou et l’handicapé peuvent aussi être des
stagiaires merveilleux. J’ai déjà travaillé avec un plaisir sublime avec des
stagiaires handicapés mentaux et physiques (à l’invitation d’Emilie Borgo),
mais ça ne sera pas, ici, le contexte. A l’Hostellerie de Pontempeyrat, le
contexte sera professionnel. Ce qui n’exclut pas le plaisir, mais l’exige. Il
s’agira pour tous d’un temps d’expérimentation éloigné des villes et rapproché
de la nature. Comme une retraite (bonnes conditions de concentration). Le
groupe sera constitué — d'après les demandes reçues — de manière à établir une
cohérence, une cohésion. Par exemple, cela pourrait être un groupe homogène
d’acteurs de beaucoup d’expérience, ou alors de débutants. Ou peut-être un
mélange, un troisième choix. Le programme d'expérimentation sera adapté à ce
choix de distribution. Pour me faire comprendre, je vous donnerai cet exemple :
la non-distinction entre faire et être dont je parlais plus haut n’apparaît
qu'à partir d'un certain niveau. Pour les débutants, cette distinction
s’avérera au contraire parfaitement utile.
Ce qui est
demandé au stagiaire : principalement le goût de travailler avec les autres.
Toute virtuosité est ardemment désirée, mais la virtuosité solitaire n’est
rien. Même si j’aime travailler avec les comédiens seul à seul, de manière à
établir une confiance, ce n'est jamais (ou très rarement), l'aboutissement.
Comme disait Louis Jouvet : « Le théâtre commence à deux. » Il est souhaité
également que les stagiaires soient, autant que faire se peut, déjà en
familiarité avec les grands textes du répertoire, et viennent, si possible,
avec des textes sus et travaillés en amont. Répertoire classique parce que nous
partirons du postulat que les scènes les plus jouées le sont parce qu'elle sont
les meilleures (loi du marché) et qu’elles touchent donc, en lien direct, à
l'essentiel. Il est également demandé aux stagiaires d'apporter sur place tout
costume, accessoire, maquillage, référence littéraire, cinématographique ou
musicale (livre, dvd, cd) qui pourrait permettre la délivrance d’un résultat
rapide — même si nous nous chargeons, de notre côté, de fournir aussi
costumier, maquillages, matières, lumières, etc. Il s'agira, pour cet essai
métaphysique de travailler très concrètement les manières d’être au monde et
très concrètement aussi avec de la dramaturgie (toute dramaturgie) et toute
l’intelligence disponible. Quand on s'occupe de l'essentiel, la forme (le
style) importe peu, car le style ou la forme n'existe pas en tant que tel, mais
comme apparence. « Le théâtre est une des ces ruches où l'on transforme le miel
du visible pour en faire de l'invisible », disait aussi Louis Jouvet (pour
rester en sa compagnie). L'amour des formes en tant que telles (conventions)
sera donc proposé aux stagiaires comme étude. Pouvoir passer d'un style à
l'autre est l'un des objectifs de plaisir de ce stage. L'unité étant
l'essentiel (et le sérieux), la disparité des apparences se présentera comme un
merveilleux terrain de jeu ou, en un sens, tout, absolument, est permis. Je
terminerai, pour me faire comprendre, par une dernière citation de Louis Jouvet
: « Le théâtre est le désordre incarné et pour faire l'éloge du théâtre il
faut commencer par faire l'éloge du désordre. » Cet ordre-désordre, ce
chaos plein de puissance et de nuance s'appuyera sur les auteurs qui en ont le
plus parler (de l'essentiel) : Shakespeare, le premier, Calderon, puis tous les
autres. Les langues étrangères sont les bienvenues, les accents, l'imitation,
la danse et le chant ainsi que tout talent particulier à chacun, bien entendu
(cirque, etc.) Ce travail expérimental d’improvisation sera aussi recueilli par
la caméra. La confiance que les enregistrements image et son peuvent apporter
nous seront très utiles. « Jouer, c’est improviser. » (Bob Wilson).
Il s’agira
de ne pas s’occuper des problèmes (qui ne sont que l’apparence de problèmes)
pour tout de suite aller à l’essentiel : jouer. Jouer Dieu. Pas sa marionnette.
Jouer, laisser jouer, sa liberté et sa vie, pour toutes les formes.
Yves-Noël
Genod (Propos recueillis par Arnaud Bourgoin.)
Yves-Noël
Genod vient de présenter une opérette à France Culture (ACR du dimanche 25
avril, à 23h, encore en écoute et en podcast sur Internet). Il est l’auteur, à
ce jour, de trente-cinq spectacles et d’un nombre non répertorié de
performances. Son travail est présenté dans les festivals de formes nouvelles
(Les Inaccoutumés, Etrange Cargo, Let’s dance, Artdanthé, actOral, TJCC,
Agitato, Marseille Objectif Danse, Montpellier Danse, festival d’Avignon,
Compil’ d’avril à Bruxelles, Trans à Genève, Xing à Bologne…), mais aussi par
le Théâtre National de Chaillot (2009). Il a reçu les éloges de la presse
nationale, « Libération », « Le Monde », « Télérama », « Les Inrocks », «
Mouvement », « Danser », « Têtu », « Pref Mag », « Elle »… ainsi
que de nombreux sites et blogs sur Internet. Citons, parmi les critiques,
celles de Rosita Boisseau, Fabienne Arvers, Jean-Pierre Thibaudat, Philippe
Noisette, Florence Broizat, Marie-Christine Vernay, Maïa Bouteillet, Marie
Plantin, Jean-Marc Adolphe, Laurent Goumarre, Gérard Mayen, Eve Beauvallet,
Sophie Joubert, Arnaud Laporte, Gwénola David, Bruno Tackels, Eric Vautrin,
Antoine Hummel… France Culture l’a souvent invité à s’exprimer. Il a travaillé
avec des dizaines de comédiens et danseurs, certains parmi les plus reconnus :
Audrey Bonnet, Jeanne Balibar, Jonathan Capdevielle, Thomas Scimeca, Marlène
Saldana, Kate Moran, Felix M. Ott… Et, parmi les danseurs : Julie Guibert,
Julien Gallée-Ferré… Parmi les chanteurs : Renate Jett. Il reçoit chaque
semaine au moins une dizaine de demande de travail de la part de comédiens et
danseurs. Il a déjà donné plusieurs stages dont l’un d’une durée d’un mois à
Berlin dans l’école de danse Tanz Hütz. Parallèlement, il poursuit une carrière
de comédien et de danseur avec d’autres compagnies. Il a travaillé pour Julie
Brochen dans une pièce de Tolstoï où il avait comme partenaire Valérie
Dréville. Il jouera au mois de mai prochain au Théâtre National de Belgique à
Bruxelles (KunstenfestivaldesArts) sous la direction de Claude Schmitz (Mary,
mother of Frankenstein).
Et il se présentera cette année en solo au festival d’Avignon (à la Condition
des Soies) pour Le Parc intérieur.
Yves-Noël
Genod a été formé par quelques-uns des plus grands maîtres du théâtre français
: Antoine Vitez, Claude Régy, François Tanguy. Il a fréquenté à cette période
Marguerite Duras dont il a beaucoup appris. Il a étudié la technique Actors
Studio avec Blanche Salant. Il est parvenu à la danse en l’étudiant avec les
improvisateurs anglo-saxons (Julyen Hamilton, Mark Tompkins, Steve Paxton,
Simone Forti, Lisa Nelson…) ainsi qu’avec Didier Silhol. Il a travaillé le
chant avec l’américaine Linda Wise. Il se forme actuellement en danse classique
avec l’américain Wayne Byars ainsi qu’à la technique Alexander avec l’italienne
Luigia Riva.
Arnaud
Bourgoin l’assistera pour ce stage. Acteur de formation, il initie sa
pratique théâtrale auprès de Danielle Tétart puis plus tard au Conservatoire
d'Art Dramatique du Mans. A cette époque, il joue et met en scène Le
Naufrage d'Eric
Westphal, il interprète La Noce chez les Petits Bourgeois, de Brecht, mise en scène par Pierre
Sarzack, Les Messagers, de Christian Caro et Gilles Auffray, mise en scène par
Didier Lastère, et Les Travaux et les Jours, de Michel Vinaver, mise en
scène par Eric Derouet. Il suit de nombreux stages auprès notamment de Didier
Bardoux et de François Tanguy. Il obtient un baccalauréat littéraire option
Théâtre et poursuit ses recherches scéniques en s'intéressant à la danse
contemporaine et au travail de Brigitte Asselineau et Daniel Dobbels. Il prend
part à leurs créations, Au-delà le temps manque et Florilège, en tant qu'interprète. Il
obtient une licence en Arts du Spectacle Théâtre à Paris X-Nanterre puis un
master en Esthétique de la Danse à Paris VIII-Saint-Denis. Il travaille alors
avec Laura Fanouillet en tant que chorégraphe/interprète sur les créations
Radiographie, Cinq corps dans un paysage urbain et Religion d’un corps
saint au
Théâtre de Nanterre et au festival Palimpseste de Jussieu. Il est comédien
dans Tentation d’oiseau de Ghislaine Avan. Aujourd'hui, il s'associe avec
Amandine Bigot, Laura Fanouillet et Estelle Gautier et créent ensemble le
collectif: E[s]T. De là est né le projet Viandox qu'il met en scène et
chorégraphie. Dernièrement, il a assisté Yves-Noël Genod pour Hamlet.
Il faut
qu'il y ait un frigo avec des bières.
Et de la
musique.
Et des
caméras.
Et un
technicien en tout.
Des
animaux et des costumes.
Des
machines à fumée.
Une bibliothèque.
Une
discothèque.
Que les
acteurs puissent chanter et danser.
Et,
donc, il faut des partitions.
Des
costumes de papier, d'algue, de lichen.
...
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