S tage lyrique
Bonjour Nathalie, bonjour
Jean-Yves,
Pas très réactif sur la
proposition de novembre dont nous avons discuté (avec Nathalie) au tél., mais
c'est à cause d'être très occupé (et préoccupé) par le spectacle d'Avignon et
pas faute d'y penser...
Titre du stage : Leçon
de liberté (ou au pluriel, comme vous
voulez)
Stage à destination des
chanteurs lyriques, mais pouvant accueillir, en moindre proportion, des
musiciens (d'un instrument ne nécessitant pas de s'installer (sur une chaise),
mais permettant à la personne d'être libre de ses déplacements), danseurs,
circassiens (on les aime, ils sont rares !) et comédiens... Mêler donc les
chanteurs choyés à d'autres interprètes car l'un des buts du stage, c'est — cet
apprentissage de la liberté — l'apprentissage du métissage... « Tout-monde »,
dit Edouard Glissant et, en effet, il faut « glisser » d'une frontière
à l'autre. Nous voulons les frontières, dans ce monde du tout connecté — sinon
nous n'aurions qu'une seule et même saveur, mais nous voulons traverser ses frontières.
Claude Régy m'avait dit une fois — c'est quelqu'un qui invente tous les
jours des définitions nouvelles du théâtre puisque c'est sa passion —, il
m'avait dit que, pour lui, le théâtre était le passage d'un instant à l'autre.
Et en effet, c'est une question de seuil. Se tenir sur le seuil, passer les
seuils en conscience, se laisser dériver, mais, en conscience, ressentir la
violence et la douceur des seuils (douleur aussi, car on perd à jamais l’instant que l’on
quitte), l'été, le printemps, les saisons, les sables, les mers, la
myriade... « En fait, un fait ne traduit pas ce que l’on fait, mais
ce que l’on ne fait pas. » (est-il entendu dans le dernier film de J-L
Godard, Adieu au langage, film
d’amour des citations et d’un chien). On s’intéressera, dans ce workshop, à
tout ce creux, ce vaste univers de tout ce qui n’est pas l’action visible, le
chant. Bien sûr, tout cela contenu dans la musique, déjà, c’est là sa magie
irrépressible, mais il n’y a aucune raison de ne pas s’y abandonner tout
entier, c’est-à-dire de toute sa présence. Et cette présence au monde est totalement indépendante de la
technique, comme l’a toujours fait remarquer Pina Bausch, par exemple, ou comme
l’exprime aussi la lettre d’un ami, Marc Sollogoub, à qui j’avais demandé son avis
et que je vous fais suivre (il y aurait sans doute des formulations à reprendre).
Bien entendu, on espèrera rencontrer des stagiaires de bonne technique,
c’est-à-dire d’une technique ne posant pas problème — puisqu’il s’agit d’autre
chose. Il est attendu des stagiaires
une grande ouverture d’esprit, la joie et le goût du jeu, la capacité de chanter
a capella des airs de son propre répertoire et d’improviser avec les autres. Ce workshop vise non
pas l’invention, mais l’épanouissement de qualités (humaines…) qui sont déjà
là, pas à les acquérir. Science de l’intention, lumière de rêve, floraison... « La scène est une place
ouverte dans une lumière claire. Pour commencer, il y en a un qui s’enfuit
rapidement. Ensuite, venu de la direction opposée, un second. Ensuite, deux, se
croisant, chacun suivi, à courte, invariable, distance d’un troisième et d’un
quatrième, dans la diagonale. »* Penser au cinéma. « Dans la nature,
tout se passe de manière infime. Juste penser que son visage se transforme.
L’inconscient est là, tout le temps. Ce qui transparaît quand tu ne fais rien,
c’est là tout le temps, c’est la matière première de l’image. » Ce qui
est proposé, c’est de mettre en rapport le déferlement des images (« Nous
sommes faits de l’étoffe des songes ») avec la perception (de l’espace et
de la vie réels), cette lumière
particulière qui fait que nous sommes de ce monde et d’un autre, ni de ce monde ni non plus d’un autre, mais, disons, paradoxaux soleils de minuit... Etre et ne pas être.
Le workshop s’adresse en
priorité aux chanteurs lyriques et aux musiciens d’un instrument portable,
violon, trompette, flûte, hautbois, bandonéon, etc., c’est-à-dire permettant de
jouer debout et de se déplacer. Il est proposé aussi, dans une
proportion moindre, mais pour la rencontre nécessaire et les mélanges, aux comédiens,
danseurs, circassiens...
Le workshop — que je dirigerai d'une manière poétique (Le Maître ignorant...) — s’effectuera aussi avec l’aide de deux intervenants, l’un plus techniquement de culture musicale (non encore
choisi) et Benoît Pelé, l'artiste du son avec lequel je travaille depuis
plusieurs spectacles à créer des « opéras immobiles », les opéras du « Tout-monde »
pour reprendre un concept d’Edouard Glissant, penseur du métissage, de
« l'effacement des absolus de l’Histoire (du monde lyrique) au profit des histoires des peuples
relatives et en relation, de la créolisation et des poétiques diffractées ». On cherchera à ce qu'il s'effectue dans un lieu particulièrement beau, c'est-à-dire un espace, poétiquement un espace ; l'acoustique, en particulier devra être une grâce, une chance. On sera attentif aussi à la lumière, « Il y eut un soir, il y eut un matin », à des variations simples, au fait que ce lieu s'ouvre si possible à la lumière du jour.
* Peter Handke, L’Heure
où nous ne savions rien l’un de l’autre
Labels: stage
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