« L ’effacement soit ma façon de resplendir »
Alors, voilà comment ça se
passe. Avant-hier, (vous êtes au courant ?) la première a été sinistre — enfin, décrétée sinistre, Amélie Blaustein Niddam (« Toute La Culture »)
n’est pas de cet avis, par exemple. Mais enfin, officielement décrétée
sinistre, « un bide », « nulle »,
« épouvantable », que sais-je ? Personne au buffet de première (une vision de l’enfer : comme un soir d’élection perdue). Et, vous savez,
tout le monde se téléphone, ça se sait tout de suite. Alors, hier,
alleluia ! on a joué devant 25 personnes. Moitié de salle. Tous les pros
s’étaient désistés. Eh, bien, vous savez ? ça a été tant mieux ! car
ça a été une vraie belle représentation — pour la simple raison qu’ils
n’étaient pas là. Bien sûr, pour la carrière, c’est pas génial — je
suis sorti de la première représentation et j’ai dit à mon équipe :
« Je vous annonce que je n’ai plus de travail » —, mais... depuis quand
tu te préoccupes de ta carrière, toi ? me suis-je dit aussi assez rapidement (ça a
duré 5 mn). Et, franchement, je suis ravi d’avoir rendu une soirée aux
professionnels qui en ont si peu, des soirées, de leur avoir rendu un peu d’air,
un soir dans leur existence affreuse de ces métiers terribles d’avoir à
organiser, ordonner la culture et le spectacle. Hier donc, tandis que j’avais
ces vers de Baudelaire en tête : « Ô cité ! / Pendant qu'autour de
nous tu chantes, ris et beugles, / Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité » — car il faut y arriver jusqu’au Rond-Point des Champs-Elysées en cette période
de plongée dans le marché de Noël comme dans un bain d’huile bouillante ! il
faut en traverser des remparts et des herses... — , je me suis dit qu’on allait peut-être pas jouer
la deuxième partie (si les gens partaient à l’entracte), mais très peu sont
sortis. J’aime les gens, mais plus les gens sont petits, plus je les aimes, pas
les arrogants gavés aux combats des pillules publicitaires. Les femmes
qui ont perdu leur beauté, par exemple, je les aime. Et les hommes qui ont
perdu leur puissance sur le marché du travail, je les aime infiniment :
ils sont prêts pour les cadeaux, ils n’ont plus « besoin » de rien.
Les grands aussi me touchent, les winners, dans le sens que, eux aussi, ils
sont aussi petits. C’est exactement pour la même raison. La perdition. Tout ça
pour dire que, pour ceux qui veulent venir, ne vous gênez pas ! On joue
calmement, mais on joue. On fait le vide, mais on joue. On joue à rien — et, Baudelaire, il la prend, la place, il la comble avec sa poésie
« incorrecte ». C’est une spectatrice qui a dit ça, hier, je trouve
que c’est le plus beau de ce que j’ai entendu : « Baudelaire, c’est
une poésie incorrecte ». Amen !
Labels: rester vivant
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