Tuesday, July 28, 2015

R ené-Paul Molle


Je m’exprime, tu t’exprimes… Je suis dans un théâtre, une salle de classe avec une odeur. J’écoute Vivaldi, Les quatre saisons… Hier, en revenant à pied du dîner avec Dominique et ses amis, Anne nous avait déposés en Autolib’ à la porte Saint-Denis et j’avais fait quelques pas avec Pascal jusqu’à la rue des Petites Ecuries où il habitait, m’avait-il dit, je crois, depuis un an et j’étais rentré. En arrivant près des Bouffes du Nord, il y avait une fête, le patron du café-restaurant m’apostrophait comme dans un rêve ou un roman de Balzac, il était si gentil, si incroyablement gentil que je me demandais si je ne me trompais pas. Il ne se souvenait pas, par exemple, que, chez lui, je ne buvais que de l’eau. Mais, non, tout le monde était également autant extrêmement gentil. Tout le monde avait bu. C’était la dernière de la saison et du Bourgeois gentilhomme. Et je me demande souvent pourquoi tous ces gens qui deviennent si merveilleux quand ils boivent ne le sont pas toujours, « désinhibés », comme on dit. Après tout, c’est si naturel de s’aimer et de se parler comme frères humains, c’est le contraire qui ne l’est pas. L’alcool remplace Dieu, heureusement. Alors celui-ci avouait soudain que son père s’était pendu quand il avait treize ans, lui encore balafré d’une chute récente en Vélib’ (chutes réitérées), et que sa mère ne le lui avait dit qu’un an après (d’abord elle avait parlé d’une crise cardiaque). Alors celles-ci se proposaient pour se faire prendre en photos (érotiques) dans le studio très beau qu’on me prête dans le quartier jeudi et vendredi (avis aux amateurs). Alors celui-ci me disait une vérité sur moi-même si percutante (sur mon comportement) comme s’il y avait pensé auparavant (il avouait ainsi qu’il pensait à moi ou, peut-être, ne pensait-il à moi qu’à ce moment-là, mais, alors, ce qu’il me disait, qui aurait pu paraître d’un jugement sévère, était franc et doré comme un « oui »). Je ne pourrais d’ailleurs pas vous répéter sans la déformer cette vérité, mais je lui disais : « C’est tout à fait juste » et je retenais le : « Mais comment faire pour changer ? » parce que je trouvais bête, au final, cette volonté de changement et dans ces circonstances  : pourquoi vouloir changer quand la fête est belle ? Alors celui-ci me proposait de le prendre en photo, oui, sur le champ, à la cave éclairée au néon, comme ça, déshabillé en portant la lourde machine à découper le jambon qu'il faisait tomber deux fois. Alors celui-ci — c’est en fait lui qui m’avait abordé — me parlait d’un personnage qu’il avait joué dans une pièce qui s’appelait Trafic, mise en scène par Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma au théâtre de la Colline, et ce personnage, avec un copain à lui, à l’arrière d’un camion encastré dans je ne sais quoi, en évoquait un autre qui s’appelait René-Paul Molle, un personnage qu’on ne voyait pas, mais qui était fabriqué un peu à partir du mien, de personnage, puisqu’il était question — c’était un metteur en scène — de faire se balader des gens à poil (mais, ça, je n’étais pas le seul), et de se « peroxyder » les cheveux (ça chauffait) et, pour finir, ce qui emportait le morceau, on parlait de René-Paul Molle comme de « l’Iggy Pop du théâtre contemporain » ou quelque chose comme ça et, à partir de là, on pouvait décemment reconnaître que j’y étais pour quelque chose. A en juger par la laideur du sobriquet, ce qui était dit ne devait pas être bien laudatif, mais je m’en fichais, j’étais flatté (quand même, c’est vrai, c’est flatteur, non ? apparaître comme une source possible d’un personnage de fiction). Jean-Pierre Thibaudat a d'ailleurs publié une très bonne critique de cette pièce. L’acteur qui m’avait abordé devant le théâtre des Bouffes du Nord portait un bout de costume du Bourgeois gentilhomme, la pièce dont c’était la dernière, les costumes avaient été faits par Christian Lacroix et on avait voulu jeter celui qu’il portait sur le dos (puisqu’on en avait un double moins abimé) ; alors il avait dit : « Si vous le jetez, je le récupère… », mais ça n’avait pas été possible, finalement, c’était possible de le jeter, mais pas de le récupérer, vue la valeur possible ou muséale, on lui avait expliqué, d’un Christian Lacroix, je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça et je n’avais pas compris non plus pourquoi il l’avait sur le dos au final : parce qu’il leur avait dit qu’il allait « lui faire prendre un bain de vodka, tu sais, c'est ce que font les costumières contre les odeurs… » C’était visiblement lui tout entier qui flottait dans le bain.
Il y avait aussi ce comédien qui s’appelle Hermann, « Souviens-toi d’Hermann, il n’y en a qu’un. — Je connais un Hermann qui est danseur. — Oui, mais comme comédien il n’y en a qu’un », qui me demandait tout de go pourquoi je ne l’avais pas remarqué dans une audition à Lyon qui rassemblait une quarantaine de personnes pendant deux heures : « Que faut-il faire pour travailler avec toi ? te sucer la bite ? non, mais dis-le ». Je ne relevais pas, ça me paraissait trop facile. Comme j’aurais pu l’expliquer à Adrien qui me psychanalysais si bien : dès qu’une proie s’avance à découvert, je rentre mes griffes (il ne s’agit de chasser que s’il y a fuite).
Le patron me roulait une pelle avant que je parte. C’est toujours ça ! Je sais, on peut attraper des maladies, mais j’adore quand un homme (un « vrai ») roule une pelle à un autre (par exemple, à moi). J’adore l’homosexualité qui est dans l’hétérosexualité. La petite fille qui est en moi.

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