Sunday, May 22, 2016

S e faire un jeune


Frannie LC postait un message sibyllin : « Ce soir, Madame Arthur », que je découvrais vers 20h15. Le temps de m’en assurer, j’étais dans la salle vers 21h30, ça venait de commencer, la salle était encore froide comme j’aime (sauf la ventil’ : j’ai rattrapé froid), l’arrière du show-biz, la répète, enfin, bref, j’étais comme un gosse et comme les gosses sont : comme un poisson dans l’eau. Au fond, je n’aime que les soirées inattendues et, là, ç’en était une. Je n’étais jamais venu à Madame Arthur. Pourtant une institution. Sur l’autre trottoir : Chez Michou. Frannie LC, sous le nom de France, officiait avec deux copines — très bien, les copines, rien à redire, très complémentaires — à chanter des chefs-d’œuvre du répertoire de music-hall français, à les chanter d’une manière assez sobre, d’ailleurs — ce qu’il faut entendre comme un gage de qualité, la prestation —, ce n’est pas que ça ne soit pas « joué », toutes ces chansons doivent être « jouées », et même « travaillées », comme Mauriane le dit, apostrophant le public : « Tu es fauché ? fais comme moi : travaille ! », mais c’est fait de manière à ce qu’on entende tous les mots. « De la poésie », répétait Monsieur K, le maître de cérémonie. En ce moment, je suis tellement persuadé que le fascisme sera au pouvoir en France dans un an (comme en Hongrie, etc.) (il faut dire que, comme j’ai du temps (le chômage), je lis les journaux, je ne devrais pas, influençable comme je suis) (tellement persuadé — ça, c’est l’évidence pour tout le monde — que la gauche au pouvoir ne cherche qu’à lui déblayer le terrain — et c’est pour ça qu’on la hait et qu’on est pétri de honte d’avoir pu, un jour, participer à son élection pour le sale boulot de construire l’autoroute au fascisme (il reste un an, vous allez voir, ça va aller vite) (enfin, bref) qu'instinctivement je répertorie, je recense les spectacles qui devraient, dans un an, pouvoir passer la rampe. Parce que, fascisme ou pas, il faudra bien qu'on sorte, comme au temps de l’Occupation, le ciel sera parfois bleu, dégagé. Eh bien, Madame Arthur continuera, ça me rassure. Ça ne devrait pas fermer. C’est protégé (« Pigalle ») et c’est tant mieux parce que c’est, comme je disais, de qualité. Il y a une silver lining (doublure d’argent) à l’arrivée du fascisme au pouvoir : tous ces spectacles « de gauche » très mauvais, bling-bling (gauche caviar), à la trappe. Tout le festival d’Avignon, à la trappe. Le théâtre de la Colline, à la trappe. Bon, qu’est-ce que je voulais dire ? Il faut pas me laisser partir comme ça… Ah, oui, Mauriane (j’écorche peut-être son nom, c’est pas grave, c’est la plus belle et donc la plus méchante des trois) m’a proposé un boulot de ramasseur de verres. J’ai dit que je pouvais aider, oui, que j’habitais pas loin. Puis avant de partir et de laisser les filles à la prostitution (pas mon genre), j’ai échangé deux mots avec Frannie LC, je lui ai dit que je n’allais pas bien depuis le mois de janvier (depuis que j’ai arrêté de travailler), que j’attrapais crève sur crève (et encore ce matin) au moindre courant d’air… Il m’a dit de faire un jeûne — et comme Jean-Bapt’ m’en avait parlé aussi cette semaine — avec une ambiguité qui m'avait laissé un peu interloqué : « Et si tu te faisais un jeune ? » —, j’ai (re)dressé l’oreille. Frannie m’a dit : « C’est que tu es fatigué d’avoir à ingurgiter le monde. Comme le monde, on ne peut rien trop y faire, on peut agir sur la nourriture. Ça te fera du bien ». D’ailleurs, il l'a dit dans une reprise des Demoiselles de Rochefort, qu’il faisait un jeûne, sans que je comprenne si c’était vraiment dans le texte ou si c’est lui qui l’adaptait à sa sauce (elle fait un jeûne, Françoise Dorléac ?) En tout cas, c’est vrai, cette solution a au moins l’avantage de n’avoir pas encore été essayée.

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