Tuesday, July 14, 2020

Quel luxe infini vous me faites de m’envoyer un livre ! cher Dominique. Vous êtes le seul, vous savez. Personne ne m’envoie jamais de livre, presque personne. Sauf vous. Qui suis-je pour un tel honneur ? Vous êtes l’un de mes poètes préférés, quand je vous lis : le plus grand, mais, justement, je pourrais atteindre la librairie et aussi la bibliothèque — est-elle rouverte ? —, mot-lieu toujours associé pour moi à la jeunesse : que de beaux poèmes mystérieux comme vols d’oiseaux vous ai-je lus dans la paresse de cette jeunesse passée, déboîtée, paresseuse parce que dépassée (car seul le présent n’est-il pas laborieux ?) J’emporte avec moi ce livre-ci et le lis — quelle belle vie que la vie ! — dans des trains, des lits, des plages, des jardins, des bois de pins, des ombrages… Un espace, une espèce… Je voudrais apprendre à lire et c’est chez vous que j’apprends. 
Vous ne m’en voulez pas si je ne vous parle pas de votre livre en détail ? j’en serais bien incapable : trop intimidant ! donc je me défile — et le livre s’enfuie lui-même dans l’infiniment petit, coquillages, grains de sable, vendus au détail… Mais je vous assure que je le salis (malheureusement) de notes et de soulignements comme, par exemple, à la page 1, ces « toxiques hortensias » que je n’oublierai pas parce que c’est exactement la notion que je cherchais l’autre jour dans le golfe du Morbihan, oui, c’est cette paire inexplicablement juste, ces hortensias qui prolifèrent en Bretagne… Mais si je me permets une note (et c’est pour ça que je n’en ferai plus), je vois que je pars dans ma maladie mentale — que je vérifie d'ailleurs sur Internet : « A haute dose, l’hortensia est similaire au Zyklon B » ! — , je m’éloigne de votre lumière étroite comme du bon pain. Tout est une splendeur inimaginable, ce que vous écrivez. Alors je me sers de votre livre comme d’un almanach, un livre qui sert à s’y retrouver ; un livre est infini quand on le reprend chaque matin. Je suis très fier — très fier ! — de votre attention à moi. Ce livre, j’apprends qu’il faut tout à la fois le désirer violemment et le détruire — pour le remettre en vie, en apprendre la formule par cœur, le relire, le mourir… 
et cela me permet de vous redire toute ma tendresse, 
Yves-Noël

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