Cher Lucas,
Emmanuel Signoret est un poète mort à vingt-huit ans en 1900. Il a écrit une phrase qui m’a fait penser à toi quand tu m’expliquais que la vibration de ton désir était si rapide qu’elle semblait plus proche, peut-être, de l’immobilité que de la vitesse. « Vis avec tant de rapidité que tu puisses paraître immobile ». En cherchant sur Internet la référence de cette phrase mise en exergue du livre de Gaston Bachelard sur Lautréamont, je tombe sur un texte de 1899 (d’un certain Adolphe Retté) dont voici un extrait : « Ô poètes, ô chers fous dont je partage infiniment la folie […]. J’aimerais mieux [...] vous octroyer un brevet de génie sans vous lire. Il vous serait facile de vous en consoler à l’exemple de mon ami Signoret, lorsqu’il s’écrie : « J’ai ennobli la gloire même, l’ayant méritée. » Car Signoret n’attend pas qu’on le loue. En extase devant ses propres poèmes, il affirme : « Je suis quelque chose d’éclatant, de terrifiant et de pudique. Mon corps est le voile de marbre divin qui abrite et préserve le feu conquis, l’immortelle lampe d’argile où brûle victorieusement l’essentielle huile dorée qui ruissela des pressoirs quand j’eus broyé les vieilles lois et écrasé la sagesse ancienne comme les fruits des oliviers. » Phrases peut-être excessives [Ahah], mais qu’on se sent porté à lui pardonner [mais oui], parce qu’elles sont senties et surtout parce qu’elles s’entremêlent d’autres phrases où palpite, parfois, un peu de l’âme universelle [sans rire]. Celles-ci : « Lorsqu’on respire, sans répit et dans leur plénitude, les parfums des moissons, des raisins et des roses, l’on demeure paisible et l’on sait qu’en jetant son âme dans l’emportement de trop d’actions, dans des cadences immédiates ou dans des élévations de bras au ciel, on attenterait à l’enthousiasme. Que tous tes gestes soient sincères et tournés vers l’Orient. Que ton corps tout entier y participe. Vis généreusement et sans lâche souci de conservation. Vis avec tant de rapidité que tu puisses paraître immobile et glorieux comme les astres. » Tu me pardonneras, n'est-ce pas, de te comparer à ce si ancien et si jeune Signoret immobile et rapide, si faiblement parvenu jusqu'à nous. Mais il aurait pu, peut-être, lui aussi, ressembler à un paon de parc floral si je l'avais connu...
Amitiés, à dimanche,
Yves-No
Labels: correspondance
0 Comments:
Post a Comment
<< Home