E lle nage dans la tristesse
« Je n’évolue pas, je voyage » (Fernando Pessoa)
Il y arrive un moment où l’on a tout vu, mais où reste encore — je l’ai dit dans mon post précédent — la manière de voir. La manière de voir, ce n’est pas de voir un spectacle (là, il n’y a aucune manière, on te place devant un spectacle et tu vois). Non, la manière de voir, c’est de ne pas voir le spectacle. C’est seulement, pour moi, ce qu’il y a d’intéressant… Mais, pour cela, pour trouver des aides à la manière de voir, il faut traverser des tonnes et des tonnes d’ordures, de matériaux pollués, comme une grève des éboueurs, ce que j’appelle les matériaux honteux, le spectacle, le show-must-go-on, les cinémas, les théâtres, pendant qu’on exterminait les Juifs pendant l’Occupation. Cette fameuse « Zone d’intérêt ». Et pendant le monstrueux d’aujourd’hui, exactement la même manière d’amplifier le détournement...
La jeunesse est sotte, elle devrait courir vers la vieillesse et non pas l’inverse (mais on l’a tellement prédéterminée à s’aimer) (ou à se haïr)
Autre chose, les livres que j’ai lus si difficilement (de plus en plus difficilement) ces derniers temps sont des livres écrits par des fous, j’ai l’impression. Je ne sais pas si je touche l’essence de ces livres — et alors je dois bien avouer que je ne peux pas les lire jusqu’au bout, c’est-à-dire que je m’arrête avant de devenir folle moi-même — ou si c’est moi qui devient folle et n’arrive plus à lire les livres sans les prendre pour des objets fous. Vous voyez ce que je veux dire ?
Là, je suis dans Trois Guinées, de Virginia Woolf. Eh bien, je peux vous dire que V. W. est 1) complètement folle, 2) très vivante et 3) féministe. Un ami m’envoie : « Pas une page plate chez V. W., jamais. Et tout y est fait pour déjouer les états de tristesse — qui ne lui étaient pas tout à fait étrangers… » Ah, oui, parce que je lui avais dit, à cet ami qui me demandait, à la troisième personne, des nouvelles de Marie-Noëlle : « Elle nage dans la tristesse. Elle essaye de lire Trois Guinées, de V. W. »
Labels: correspondance, paris
0 Comments:
Post a Comment
<< Home