Sunday, April 17, 2011

Le Charcutier philosophe

C’était encore à réécrire.

Qu’est-ce qu’il s’était passé dans la semaine ? Olivier Steiner avait écrit un livre. Il avait senti le mouvement : il m’avait demandé de ne pas faire circuler le livre (le pdf). Mon mouvement naturel aurait été d'en être le distributeur, distributeur de ce livre. Ça allait se vendre (se répandre) comme des p’tits pains. C’était l’amitié : un livre avait été écrit, il fallait le lire. (Mais il faut aussi le vendre à un éditeur.)

Ensuite, il s’était passé encore plus – sur ce grand bateau de ce livre – ce grand bateau vivre – l’amour. Il y avait ce couple, ce couple d’amour qui continuait de vivre, ce couple d’amour dont il ne fallait pas donner les noms, amours clandestines.

Et puis, les rêveries, le travail. Le travail se rêvait, c’était ça.

Et puis, Paris, ça avait été une semaine à Paris, ça avait été une semaine où je m’étais plaint de ne pas avoir de vacances, d’amour, d’amour de vacances, au moins de vacances, pour l’amour, je sais, ce n’était pas si grave, c’était un arrangement.

Mais ç’avait été une semaine de vacances, en fait. Je l’avais ressenti comme ça. Paris avait été ouvert sur la nature, sur le vent, sur le soleil, sur l’embrun, je l’avais ressenti comme ça. Il y avait eu une foule de rendez-vous, de choses à faire et j’avais traversé Paris en tout sens – en tout sens – à Vélib’, à l’air libre, dans le soleil et les embruns, presque pas habillé. Il y avait ce couple d’amour qui naviguait dans les embruns. Dont il ne faut pas dire les noms, ce couple frère. Là aussi, je répandais, il ne fallait pas répandre, je l’aurais répandu si j’avais pu, un couple existe, l’amour existe, dans un sens ou dans un autre.

Paris m’apparaissait. Comme j’allais loin, je voyageais, je me perdais, je visitais. Je découvrais Paris que je ne connaissais pas. Paris infinie comme une ville étrangère, ses zones qui appartiennent aux étrangers ou, au contraire, ses zones qui appartiennent aux villages – tant de villages, tant de niches sociales… Bergère ô tour Eiffel… Paris, le tout-monde. La Seine, c’était la marée haute… Le couple ami disait : « Je n’ai jamais été aussi heureuse – je n’ai jamais été aussi heureux. » « Unspeakable happy », disait the adult child.

Paris avait été ouvert sur le sommeil, en fait, sur la nuit blanche, aussi. Arnaud Guy était venu me chercher à quatre heures du matin pour m’emmener où il voulait, je crois que nul autre que lui n’est capable de ça. Avec lui, j’avais seulement demandé : « Ok, mais pas de drogue. S’il y a de la drogue, je ne viens pas. » Bien sûr, il y avait eu de la drogue, mais très tard dans la matinée, j’étais parti (mais j’aurais pu en prendre, à ce moment). Je m’étais demandé pourquoi la drogue était apparue si tard et pourquoi alors il fallait en prendre tous les quarts d’heure. Arnaud m’avait raccompagné en scooter jusqu’à Paris, j’avais les mains sur son sexe, il ne bandait pas, il voulait encore dire qu’il n’allait pas bander, que ça ne l’excitait pas. Je l’avais arrêté : c’était comme ça que je supportais le sexe des garçons : au repos. Je voulais juste la tendresse, la fraternité avec les garçons, je ne voulais rien. J’attendais une fille. Avec elle, il serait temps de faire jouer les organes. Tant que la fille ne venait pas, ça allait comme ça, ce n’était pas la peine de faire des histoires. Vincent Dissez m’avait proposé de se marier. Ça aussi, c’était possible. J’avais posé comme condition : pas de sexe, tu as tes amants, tu vis ta vie (sexuelle) (Vincent Dissez est homosexuel), mais la tendresse, bordel. Se marier avec un garçon ? Non, pas d’histoires… Le couple ami naviguait sur les histoires.

Luigia Riva m’avait raconté quelque chose. On avait ri. Elle m’avait fait promettre de ne rien raconter de ce qu’elle voulait me dire, elle m’avait dit, mais elle me disait encore : « Je vais te faire signer un papier où tu t’engageras à ne rien dire. – Mais à qui, Luigia ? A qui ? Je n’ai pas d’amis, Luigia, et qui cela peut-il intéresser ? » On avait ri. En fait, c’était inintéressant, ce secret dont elle voulait me parler pour me demander mon avis.

Je l’avais raconté à la première venue, c’est-à-dire à Mathilde Monnier. Je l’avais raconté en lui faisant promettre, pareil, signer un papier, de ne rien raconter. Je lui avais raconté le secret inintéressant. Je l’avais fait parce qu’elle s’en fichait mais qu’elle était néanmoins obligée de m’écouter (en posture d’être obligée de m’écouter) et aussi, peut-être, parce que je l’imaginais, elle, comme une boîte à secrets, une boîte crânienne à secrets, à secrets de ce genre : inintéressants.

Mais, le secret, c’était de traverser Paris et de se perdre dans le soleil et les vacances et l’air frais vivant venant de la mer.

« I feel the energy of this love and it's a very powerful spring », j’avais écrit à l’ami enfant. (Je viens de le faire, en fait.) Le temps réel, ce n’était pas le secret, mais, le secret, c’était le TEMPS REEL. The weather, le monde rond, la famine, la vie. Et j’avais rajouté en légende d’une photo de Jeanne Balibar : « C’est comme si votre âme s’était enfermée dans le voile de la beauté. » Ça allait bien avec la photo.

Et quelqu’un m’avait parlé, il m’avait dit : « Voilà, c’est révéler la beauté de tous les êtres plutôt que d’affirmer la beauté du monde sur soi. – Oui. – Vous êtes, dans cette expérience humaine, invité à ce retournement-là. – « Révéler la beauté de tous les êtres plutôt qu’d’affirmer la beauté du monde sur soi », oui, oui, bien sûr, ouais, ouais. – Voilà. – Ça, c’est l’retournement, le seul intérêt, c’est ça… – Ouais, ouais. – …quand, tout d’un coup, on s’aperçoit que… – que votre beauté n’est que l’expression de la beauté du monde qui se contemple. – C’est ça. – Vers le monde, pas vers vous. Et à c’moment-là, voilà, vous nourrirez au lieu d’chercher à être nourri. Et, en nourrissant, vous s’rez nourri. – Mm… Qu’est-ce qu’il a besoin d’se contempler, le monde ? – Il a b’soin d’se connaître. »

Et j’écoutais les tourterelles. J’écoutais encore les tourterelles.

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