Monday, May 23, 2011

« Sometimes we see a cloud that’s dragonish »

La dame (merveilleuse, qui m’a pris en affection) m’appelle aujourd’hui – mon dernier jour – « Professor ». Elle me dit une phrase en allemand en s’adressant à moi comme « Professor ». Ça s’est donc su. Je suis à Berlin encore quelques heures. Je pensais, à l’instant, à ce que dit Peter Handke (dans La Chevauchée) sur l’angoisse d’avoir à nommer les choses qui ne sont pas là. Oui, il y a un peu d’angoisse. Je dois réfléchir au stage de Pontempeyrat, la semaine prochaine, à la performance de Gennevilliers, samedi prochain, à Rennes, etc. aux choses qui ne sont pas là. Quel travail angoissant ! Tout ça dans cette ville, dans cette ville qui est là. Elle est là, cette ville, surtout hier, surtout le dimanche. Les gens ne travaillent pas et se montrent partout. J’étais avec Nicolas Moulin et c’était un plaisir de voir le monde comme je ne le vois jamais sauf avec lui. On a croisé une course cycliste très rapide (comme un banc de poisson). On imagine DSK condamné à des travaux d’intérêts généraux. Il me dit à propos des enfants (il faut que je le dise aux élèves) qu’il faudrait « regarder des enfants, hein, observer et faire pareil ». « Ils sont presque comme des adultes, mais, en même temps, y a qqch qui va pas. – La folie ? Ils sont fous ? – Ils font toc. » A propos de DSK : « Ecoute, je pense que s’il arrive à être acquitté, il aura une retraite bien méritée, comme on dit. » A propos des femmes : « Je trouve que les meufs sont plus belles à Berlin parce que c’est moins connoté par les magazines. L’image de la parisienne bourgeoise un peu dévergondée. Ce qui devient vite ennuyeux parce que « dévergondée », pas d’problème, mais « bourgeoise »… » De la mode : « C’est pas la mode qui prime, là, t’as remarqué ? C’est le look. » On a déposé des bouteilles dans des conteneurs qui ressemblent à des Haribo géants, y en avait un par couleur de verre, un blanc, un vert, un marron. Mais Nicolas avait une bouteille bleue, du Veleda. Il a choisi de la mettre dans le marron. Il m’a montré une statue de Lénine, il m’a montré les usines, les châteaux. A propos du carrefour : « Quand je vois ces carrefours avec ces bagnoles, je m’dis : on est quand même une espèce qui prolifère à fond. » « Je suis obligé de répondre nulle part », dit Stig Dagerman – et Ambre ajoute : « Si je veux vivre libre… » Simon me fait lire les derniers mots écrits par Antonin Artaud quand on l’a retrouvé mort (tenant aussi une chaussure à la main) :

« Le même personnage revient donc
chaque matin (c’est un autre)
accomplir sa révoltante, criminelle
et assassine, sinistre
fonction qui est de maintenir
l’envoûtement sur
moi
de continuer à
faire de moi
cet envoûté
éternel
etc. etc. »

Et me fait remarquer comme c’est remarquable de terminer son œuvre par « etc. ».

Les lourds nuages, les beaux nuages, les immenses nuages flottant comme des zeppelins – du ciel au-dessus de Berlin – dans l’océan bleu que je nommerai aujourd’hui : Grisélidis Réal. Bleu Grisélidis Réal. Et puis il y a des chiens aussi qui sont comme des petits nuages. Entre eux et eux, l’humanité, avec ses prisonniers dans le zoo. (Aurai-je le temps d’y retourner demain ?)

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