Sunday, November 25, 2012

La Parole amitié


« Le mot communauté peut-il avoir encore un sens ? Au-delà des avatars, des mensonges, de l'horreur de l'union parfaite, communielle, fusionnelle – qu'elle soit de groupe, de secte ou de couple –, Maurice Blanchot évoque un lieu où « le dire prime le dit », un lieu de pure forme en quelque sorte, un lieu vide, pour rien, « désœuvré », mais qui, à cause de cela même, est le lieu de possibilité de toute vie. Il parle de Mai 68, et ce moment on le reconnaît – moment fondateur, moment d'émergence du désir, avant que celui-ci ne retombe dans des mots d'ordre si beaux ou si justes soient-ils. Ce qui mobilise dépasse toujours telle ou telle revendication, et la lutte est toujours une lutte pour la dignité, pour le « sentiment ultime d'appartenance à I'espèce » selon l'expression de Robert Antelme. En Mai 68, « la poésie était quotidienne », la communication « spontanée », et sur les murs on retrouvait ce qui est au principe de toute littérature : le souci de transmettre non un savoir, ni un discours, même critique, mais un sens de la rencontre. C'est pourquoi la communauté est coextensive à la parole (Mai 68 : liberté de parole !).
Mais « de quelles sortes de paroles » faut-il parler ? On pense à ce que M. Blanchot dit de l'arpenteur, le personnage de Kafka, sa faute, la « faute essentielle », est l'impatience : « I'homme veut l’unité de suite », I'unité des images, voire des idoles, qui calmerait son angoisse. Mais le langage ne va pas de soi, il n'est pas naturel, et la parole vraie n'est pas dans les images qui fascinent, ni dans les évidences qui s'imposent, pas plus qu'elle n'est dans les mots techniques vidés par l'exactitude, ou dans les formules brillantes et enfermantes du discours.
Ce n'est pourtant pas ailleurs que dans la mots eux-mêmes, dans le « cheminement exigeant » sur les mots que se trouve cette « terre promise où l'exil s'accomplit en séjour, puisqu'il ne s'agit pas d'y être chez soi mais toujours au dehors ». Il faut sans arrêt découvrir à nouveau la « parole neutre, infinie, sans pouvoir » (comme le peuple en cortège aux morts de Charonne), la parole qui parle à partir de « I'impossible et de l'incommunicable », où « la pensée pense plus qu'elle ne peut penser ». Une parole non totalisante – la vérité sera toujours des morceaux –, une parole qui connaît le mensonge et la transparence, qui se confronte aux « forces opposées de la solitude et du langage » (comme les amants dans leur « intimité vide »).
Dans le même mouvement, la parole admet qu'elle ne peut épuiser le réel – les mots ne sont pas là pour reproduire les choses, même sous prétexte de les recréer – et refuse l'illusion de combler celui auquel elle s'adresse. Elle le laisse libre. C’est elle qui se déploie dans « I'anonymat du livre », dans « la parole écrite » dont M. Blanchot dit qu'elle est «  notre désaccord, le don du mot précaire ».
Reprenant ce qu'il dit de Bataille, on pourrait aussi nommer cette parole amitié – « amitié pour l'impossible qu'est l'homme ». »

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