La Vie est la farce à mener par tous
« Après trente ans de
durcissement, le capitalisme est presque parvenu à aplatir le sens de l'art, à
écraser sa bande passante. La signification verbale en littérature, notamment,
s'aligne de plus en plus sur l'univocité autoritaire de la publicité. D'abord,
avec le triomphe de l' « autofiction », la voix narrative a été
rabattue sur la voix de l' « auteur », réduisant la fiction à
une espèce de la téléréalité. Maintenant, l'écriture dominante, priée de
fournir à chaque page des effets de réel frelatés, prend modèle sur les formes
les plus putassières du reportage : l'exploitation des faits divers
sensationnels. Est-ce un hasard si, depuis une dizaine d'années, la mode
littéraire est à la bêtise, à l'éloge de l' « idiotie », de
l' « inculte », etc. ? Le marché culturel ne demande pas mieux
que d'avoir une clientèle de gogos, sans conscience historique ni pensée
critique, pour écouler sa production insipide. Si la poésie en pâtit, c'est
qu'elle a pour condition le déploiement du sens dans tout son spectre :
sensations, connotations, réminiscences, associations sonores et imaginaires,
synesthésies. Le malentendu est son élément, sa bravade, puisqu'elle parle
« littéralement et dans tous les sens ». Cela, la communication
mercantile ne le tolère guère — elle ne le conçoit même pas. »
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