Arvers
Fabienne Arvers
Yves-Noël Genod, coup
d’envoi magique aux Inaccoutumés
Un petit peu de Zelda, création d’Yves-Noël Genod, illumine l’ouverture
du festival Les Inaccoutumés.
Pour fêter ses trente ans, la
Ménagerie de verre a concocté une édition jubilatoire de son festival Les
Inaccoutumés. Coup d’envoi magique avec Yves-Noël Genod et hommage à l’hôtesse
des lieux signé Jérôme Bel pour « Les Inrockuptibles ».
La profondeur unique du
garage de la Ménagerie de Verre, accentuée par l’alignement de quatre rangées
de projecteurs posés au sol et prêts à distiller un flux de lumières pâles ou
iridescentes, est inoubliablement magnifiée par les apparitions des figures réunies
par Yves-Noël Genod dans Un petit peu de Zelda (Ajout au projet 1er avril).
Explication de titre : 1er
avril sera la prochaine création aux
Bouffes du Nord en 2014 de cet artiste rare qui défie toutes les définitions
communes concernant le théâtre, et préfère tâtonner, digresser, fantasmer,
s’entourer d’interprètes singuliers et splendides pour concevoir des spectacles
à forte charge poétique, s’adressant aux sens bien plus qu’à la raison.
Formellement informel : voilà peut-être ce qui le résume le mieux…
Remplacer Jérôme Bel
Initialement, il n’était pas
programmé pour cette édition, mais à la demande de Marie-Thérèse Allier,
directrice et hôtesse de ces lieux, il a remplacé au pied levé le spectacle
annulé de Jérôme Bel : « Remplacer Jérôme Bel ! Je dois dire, moi qui suis
snob, c’est presque rentrer dans le cercle très fermé de Madonna ! J’ai un
contrat d’exclusivité avec les Bouffes du Nord, cette saison, mais les Bouffes
acceptent parce que c’est Marie-Thérèse et à condition que ce soit une étape du
projet 1er avril. »
Pragmatique et connaissant le
garage de la Ménagerie où il a créé tant de pièces, Yves-Noël Genod ajoute : « Je
suis connu pour travailler à la vitesse de la lumière. Mais enfin, là, la
lumière, il vaudrait peut-être mieux travailler dans le noir – total – comme je
l’ai déjà fait. » Et, de fait, c’est dans un noir total que démarre Un
petit peu de Zelda, propice à
l’écoute du poème de Baudelaire, Causerie, qu’il prononce avec délectation, les derniers vers distillant
l’essence profonde des images qui vont suivre : « Ô Beauté, dur fléau des
âmes, tu le veux ! / Avec tes yeux de feu, brillants comme des fêtes, / Calcine
les lambeaux qu’ont épargné les bêtes ! »
La figure de Zelda,
romancière, épouse et égérie de F. Scott Fitzgerald — qui disait d’elle : « C’est
la première garçonne américaine » — , est endossée par Kate Moran avec une
grâce et un mordant analogue à son entrée en scène vêtue d’un costume noir,
veste ouverte sur buste nu, apostrophant le public dans sa langue natale, celle
de Zelda, tandis que des bambins déguisés s’ébattent sur le plateau et
disparaissent pour revenir bientôt, rythmant de leurs rires et de leurs
bousculades, ce long poème vivant où nous plongent les interprètes dans leurs
surgissements et leurs trajectoires, louvoyant avec les limites de l’espace,
époustouflants de beauté et répondant aux doux noms de Frida Kahlo (Perle
Palombe), Pessoa (Joao Costa Espinho)… Ou, moins célèbres mais tout aussi
évocateurs : le chevalier (Louis Laurain), la danse (Stephen Thompson), le Russe
(Boris Grzeszczak), la Rom (Diane Regneault), le Lépreux (May Maketa), les
Poèmes (Yves-Noël Genod), de Baudelaire toujours…
Voix d’ange
Sans oublier les deux
chanteurs à la voix d’ange, le contre-ténor Bertrand Dazin et la soprano Jeanne
Monteilhet, et leur interprétation sublime du Stabat Mater de Pergolèse, suivie d’extraits de Bach, de Schumann
et de Verdi. Un petit peu de Zelda,
écrin sombre d’où jaillissent, telles des enluminures, un flot de sensations,
est le rêve incarné sur une scène de ce que nous confie Yves-Noël Genod : « Je
vois des splendeurs tous les jours quand je sors dans la rue, l’émerveillement.
De cela, je ne porterai rien aux spectateurs, si peu. Comment ces gens
splendides comme des dieux (surtout une journée de soleil, évidemment)
pourraient-ils être déplacés sur une scène, ça me paraît invraisemblable… Et
pourtant, c’est la splendeur. Et comme toute (vraie) splendeur, c’est rien.
Comment ne pas tout perdre si ça devenait quelque chose ? Je voudrais que le
spectacle de la Ménagerie de Verre soit aussi ouvert que cette pièce de Peter
Handke, L’Heure où nous ne savions rien l’un de l’autre. Cette pièce merveilleuse comme la rue, la rue comme
aujourd’hui, « lumière claire », dit-il. « Une place ouverte
dans une lumière claire. » »
C’est à Jérôme Bel que l’on
donne le dernier mot, présent malgré tout, pour rendre hommage à « Marie-Thérèse
Allier, la folle Allier comme je l’appelle parfois. Marie-Thérèse est un
mystère de l’espèce humaine. Je ne la comprends pas, car en fait le mot
comprendre est inopérant : cette femme n’obéit pas à notre système relationnel
basé sur la rationalité. Il m’a fallu de bien nombreuses années pour accepter
sa désobéissance, son irréductibilité. Et c’est quand j’ai enfin compris cela
que j’ai commencé à l’aimer, à l’aimer sans limites pour sa singularité inouïe,
pour sa résistance à tout pouvoir qui pourrait l’asservir, pour son
irrésistible liberté. Et sa fréquentation est devenue une joie sans pareille.
Elle me fait rire comme personne, car tout chez elle est pure subversion. »
Un petit peu de Zelda (Ajout au projet 1er avril), création Yves-Noël Genod, jusqu’au 14 novembre,
dans le cadre du festival Les Inaccoutumés (jusqu’au 7 décembre), à la
Ménagerie de Verre, Paris. www.menagerie-de-verre.org tél. 01 43 38 33 44.
Par Fabienne Arvers
Labels: ménagerie zelda
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