Friday, December 27, 2019

R ésumé (ça pourrait être un très bon titre de spectacle d'ailleurs, ça)


Valentin qui a recopié la pièce (si vite) me motive pour relire — et vous envoyer — ce « résumé » au passage de l'année) 

Rappel : nos deux devises :  
« Tout est possible dans un film de cow-boy » (Arno)
et : 
« Rien ne m'est sûr que la chose incertaine » (Villon)

Le titre : J’ai menti 

Je n’aime pas J’ai mis une jupe, ça ramène à ce spectacle (de Claudia Nottale) et puis, depuis, il y a eu aussi La Journée de la jupe, ça ne va pas…
Il y a d’autres titres possibles :
Le Noël de personne (c’est à Nantes, il y a un nouveau lieu qui s’appelle « Personne » et l’autre jour quelqu’un a dit : « Hier, on a fait le Noël de Personne ». Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd) 
Moi, j’aimais bien : Oh, those Russians !
Ou encore : They Can’t Resist Your Smile (qui renvoie à la phrase de Barbara : « Mais qu’est-ce que c’est que le talent ? est-ce que ce n’est pas entrer en scène et sourire ? »
Mais J’ai menti (qui semble avoir tous nos avis favorables) renvoie à notre plus grande ambition : ce rapport à la fiction et au réel (cette distinction), l’indice du vrai et du faux par rapport au réel. Notre ambition : Dépasser la situation théâtrale dans toutes ses ambiguïtés entre réalité et fiction pour se retrouver dans un moment qui ne peut être que réel, un accident dans lequel on se rencontre. Il y a une phrase de Virginia Woolf à la troisième page d’Une chambre à soi (que je commence) : « Des mensonges jailliront de ma bouche, auxquels il se peut qu’un atome de vérité soit mêlé ». Donc : J’ai menti
Il faut mettre aussi : « d’après la nouvelle de Tchekhov intitulée Au royaume des femmes »

Bilan :
Où en est-on ? Certain.e.s d’entre vous comprennent très bien quel est l’amusement de ce projet, ce work in progress jamais « achevé » (« Achever un tableau, c’est l’achever »), toujours vivant, qui doit être activement maintenu à l’état vivant — c’est-à-dire en deçà de la conscience — « qui rend sot » — , c’est-à-dire en deçà du commentaire — et qu’il faudra encore laisser plus tard, après les représentations — c’est un travail sans fin —, à l’état natif, neuf comme un infans (celui qui ne parle pas). « Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui » (dit Mallarmé).
Il y en a, comme je l’ai fait remarquer, qui, au moins par moments, font fausse route, qui montrent au contraire de ceux qui s’y amusent qu'ils sont contraints, isolés, coincés d’une manière ou une autre et qu'ils ne s'amusent pas — et ça se voit gros comme une maison. Alors, c’est, bien sûr, hors sujet. Ceux-là doivent renverser la vapeur avec comme priorité : 
1) occuper tout l’espace
et 
2) muscler l’imagination
Je ne vous abandonnerai pas, bien sûr, on fera des exercices, mais, nom d’un chien ! vous pourriez juste vous décider et vous y mettre, car, tous, vous touchez la chose, mais certains hésitent à y rester ! Comme s’il y avait le choix,  un peu de bon, un peu de mauvais. Pas faire le courant alternatif ! Occupez-vous du bon et dédaigner le mauvais ! (ça parait stupide à dire). Peu à peu, les trous se combleront, le discontinu fera du continu (« le vivant est un éternel écoulement »).

Pour le premier point (occuper tout l’espace) je rappelle deux choses déjà exprimées, la première c’est le poème de Wallace Stevens, « Je suis ce qui m’entoure » : 

«  Theory

I am what is around me.

Women understand this.
 One is not duchess
A hundred yards from a carriage.

These, then are portraits:
A black vestibule;
A high bed sheltered by curtains.

These are merely instances. »

« Théorie

Je suis ce qui m’entoure.

Les femmes savent cela.
On n'est pas duchesse
A cent mètres de son carrosse.

Voici donc des portraits :
Un vestibule sombre ;
Un lit à baldaquin.

Ce ne sont que des exemples. »

Et la deuxième, c’est Depardieu. Depardieu, je vous l’ai dit, ce qui m’a frappé quand je l’ai rencontré, cette soirée d'août, quand Audrey lui avait dit du bien de moi l'après-midi, c’est l’espace qu’il écoutait. Nous étions dans notre bulle pour dîner au restaurant, mon amie Dominique et moi et, quand il est arrivé, j’ai senti qu’il était dans un espace beaucoup plus large (au moins comme toute cette salle de restaurant), une sphère beaucoup plus vaste, dans laquelle nous étions (dedans), mais aussi tous les autres (et donc toutes les informations qui flottaient dans ce restaurant). J’ajoute, pour revenir sur cette affaire des  « Women understand this » que Depardieu a de nombreuses fois affirmé que, quand il jouait, il était une femme. Je ne retrouverai pas de citation dans ce sens, mais croyez-moi sur parole. Ceci pour rebondir aussi sur le fait que j’ai dit le samedi 21 que les actrices étaient, en général, meilleures que les acteurs (sauf Adam Driver, je viens de le revoir dans Star Wars, quelle splendeur !) Messieurs, n’ayez pas peur de montrer ni votre masculinité ni votre féminité : voyez Depardieu. Il ne s’agit pas de jouer des femmes, mais de jouer quelque chose qui vous relierait à quelque chose d’autre de plus important. Mais il faut enclencher le processus. Je t’ai entendu, Louis, dire que tu avais plus de mal à jouer Anna que l’avocat, je peux le comprendre, moi aussi, avocat me plaît beaucoup, mais si tu jouais Tchekhov qui joue Anna, ça n’irait pas mieux ? Et ce ne serait pas plus riche ? Il ne faut pas oublier que ces personnages sont joués, imaginés, Emma Bovary par Flaubert, Anna Akhimovna par Tchekhov, etc. Vous comprenez ? Et quand Annie Ernaux joue son père (voir plus bas), elle prétend que c’est encore encore plus difficile : « J’ai mis beaucoup de temps parce qu’il ne m’était pas aussi facile de ramener au jour des faits oubliés que d’inventer. La mémoire résiste. Je ne pouvais pas compter sur la réminiscence […] »
Tenez, sur le réel, encore de Depardieu (notre vrai prof) : « Je suis plus intéressé par les gens que par les personnages ».
Et puis comme le dit Anthony Burgess dans Honey for the Bears : « The Russian women are very old-fashioned in some ways. They don't like being at posh parties with geezers who haven't shaved. » Gardez vos poils, les gars, et vos poils de manteaux d’ours !


Pour muscler l’imagination, eh bien, je vous photographie les pages de Stanislavski qui en parlent. Avoir de l’imagination, c’est évidemment d'une grande aide. La matière russe, c’était (et c’est toujours) pour booster l’imagination : plus grand, plus animal (etc.), mais il y a d’autres matières, d'autres manières à l’infini, les vôtres ; tous vos moyens sont bons. Il y a un livre de Ludwig Hohl intitulé (en français, en tout cas) : Tous les hommes presque toujours s’imaginent. Allez puiser dans l'enfance (dont vous êtes si proches).
Ce qu’il y a, je ne le répéterai jamais assez, ce qui est obligatoire (si vous voulez avoir de la présence), c’est qu’il vous faut montrer votre liberté. Ça, Balibar m’avait dit une fois que ça lui avait pris, je ne sais plus, 11 ans pour le comprendre, mais, vous, il vaudrait mieux pour vous (ceux qui ne le comprennent pas encore à 100%) que vous preniez des cours en accéléré : je vous donne 11 jours ! Sinon gare au dégâts. Tout est à découvert dans ce genre de travail. Une seule solution (mais c’est un choix qu’il faut faire) : montre-toi libre ! — et tu verras comme je suis bon public.

Faut-il apprendre ? 
Ce n’est pas obligatoire, mais ce n’est pas interdit. Pour certains, peut-être, apprendre certaines parties (dans le Proust, par exemple, j’avais appris le début et la fin du spectacle de 2h20 et je lisais le milieu) peut permettre une liberté de mouvement, se sortir de la table, ce qui serait loin d’être négligeable. Mais tout est une question de confiance. Là où ça vous donne le plus d’assurance : avoir le texte sous les yeux ou dans la tête (il ne faut simplement pas que le fait de l’avoir dans la tête vous prenne de l’énergie (pour s’en souvenir), il faut que vous ayez votre énergie à 100% : votre liberté). Je l’ai fait remarquer, Olga, Salomé et Raphaëlle sont tout à fait discrètes dans la lecture dans le sens où l’on s’en fiche qu’elles lisent parce qu’on ressent beaucoup — tellement — de choses qui dépassent la « partition », mais d’autres ne le sont pas — alors peut-être que pour ces autres, apprendre certaines parties peut aider, je ne sais pas. Mais ce qu’il faut surtout apprendre (en accéléré, cf plus haut), c’est la confiance en soi !

Raphaëlle, tu avais le projet de me proposer d’éventuelles coupures… (De toute façon, on en fera s’il le faut, même au dernier moment). Des choses peuvent peut-être se jouer en silence…

Ah, j’y pense, remplacer le mot maître (en parlant de Piménov) par contremaître. C’est le sens et ça se comprend mieux.

Faire entendre « nègre » et « arabe » 
Il faut que ces mots choquent comme ils nous ont choqués à la première lecture (je me souviens que Valentin m’a regardé en me disant : « Non… »). Maintenant, vous passez ces mots à l’as. C’est trop facile et ça ne nous intéresse pas d’édulcorer. C’est à cause de l’intelligence humaine (voyez la lettre de Proust en PS, l’intelligence ne sert qu’à faire des « facsimilés affaiblis » des vraies sentiments). C’est pour le moins normal que ces mots choquent et, pour cela, ils doivent être employés au présent (comme j’avais fait remarquer que Merwane avait fait avec le mot « usine »). Il faut que tous les mots choquent ou éblouissent — un éclat, un impact, les résonances — remuent. Sinon ils ne font pas leur office : toucher en dessous de la surface faussement calme de la vie sociale quotidienne et raisonnée (qui est fausse), atteindre l’inconscient (cf, en PS, le texte sur Claude Régy). Il faut qu’ils sonnent sonores, vrais, instinctifs. « Donner un sens plus pur aux mots de la tribu » (dit encore Mallarmé).

Les costumes, vous y travaillerez encore. Un bon costume, et ensuite, c’est si facile de jouer ! Il vous en faut plusieurs, pouvoir en changer. Ce spectacle est sur le changement (cf l’émission sur Bergson plus bas). Et les attitudes aussi, en observer. Il faut des fragments de théâtre (comme vous en faites déjà) qui flottent comme des blocs de glace sur la Neva au moment de la débacle. Et pourquoi pas des moonboots pour une fille ou deux ? Je viens d’en voir (la coiffeuse que je connais revenait du ski), c’est tout une ambiance…

Je viens de lire un livre très célèbre (et court, lapidaire, presque comme une nouvelle de Tchekhov) d’Annie Ernaux, La Place, parce que je voulais un peu rêver sur ce phénomène du transfuge de classe dont parle aussi notre Royaume. Elle parle de son père (son père : ouvrier, son grand-père paysan, elle : professeur) en disant qu’il a fait « l’expérience des limites ». Elle dit d’elle-même  : « Je me sentais séparée de moi-même » (une phrase de l’Anna tchekhovienne, dirait-on). Elle dit encore (et cette phrase est magnifique à jouer, très riche) : « J’ai glissé dans cette moitié du monde pour laquelle l’autre n’est qu’un décor » (l’autre moitié du monde). Qu’est-ce qui est réel, qu’est-ce qui est irréel ? Et pourquoi on ne peut pas « voir », justement, l’autre moitié du monde ? Et si Tchekhov les voyait, lui, les deux côtés du monde à la fois ? Les riches, les pauvres. Et encore : les vivants, les morts. Vous connaissez la phrase de Bernanos : « Il faut arrêter de parler du monde des vivants et du monde des morts, il y a le royaume de Dieu et nous sommes dedans ». Le « royaume », tiens, encore... On fait partie des vivants, il faut se montrer vivants. Mais il se trouve que se montrer vivants, c’est aussi se montrer morts. Proust : « comme nous ne sommes tous, nous les vivants, que des morts qui ne sont pas encore entrés en fonction ». Et, tenez, les garçons qui se plaignent de leur insuffisance à jouer des femmes, pour Piménov qu’il faut quand même bien jouer aussi (ici le père d’Annie, le dimanche) : « Mains le long du corps, fermées, tournées vers l’extérieur, parfois jointes dans son dos. En se promenant, il n’a jamais su quoi faire de ses mains. Le soir il attendait le souper en baillant. « On est plus fatigué le dimanche que les autres jours. » (Sur les mains, il y a une autre phrase dans le livre, une citation d’Henri de Régnier : « Le bonheur est un dieu qui marche les mains vides ».) (Et sur le bonheur : « Mais la certitude qu’on ne peut pas être plus heureux qu’on est ».) Et puis cette phrase très belle : « Peut-être une tendance profonde à ne pas s’en faire, malgré tout ». J’aimerais beaucoup que l’on sente cela dans le spectacle, cette profondeur, là, malgré tout. Si l’on pouvait voir cela de vous et si vous pouviez même la faire lever chez chaque spectateur, cette phrase magnifique qui est comme une définition du bonheur… La distance entre son père et Annie Ernaux est aussi très proche de celle entre Anna et Piménov : « Une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé ».
Ce que j’ai compris aussi, c’est que le très discret (c’est-à-dire tchekhovien) signe, mais par deux fois, qu’Anna grossit (l’avocat trouve qu’elle a grossi) peut dire, dans le corps, son embourgeoisement, la dérive irrémédiable de l’ouvrière à la patronne (à l’époque, les bourgeois sont gros et les pauvres maigres), même si l’avocat lui dit qu’elle tient ça de sa famille, ce qui contredit ce que je viens de dire — mais parce que rien n’est simple, rien n’est un message, et il y a tant à rêver, dans cette nouvelle, sur les grosses, les maigres).

J’aimerais être un dramaturge pour vous nourrir, mais je le suis peu. Chacun doit faire son propre chemin— et le partager. Pour ma part, j’ai énormément de plaisir à le faire en votre compagnie.

Ce qu’il faut comprendre (mais certain.e.s le savent), c’est que c’est sans fin de comprendre ce texte, parce qu’il n’y a pas de texte, en fait, il faut le faire disparaître, le texte (Madeleine Renaud était très forte pour faire disparaître des textes d’auteurs pourtant très puissants comme Beckett ou Duras). Il y a à trouver une vie, certes contenue dans ce prétexte, mais cette vie est sans fin, libre de toute peur ou haine, ou récrimination personnelle — et cela peut bien vous durer cinq mois ! Et Shakespeare y est bien arrivé, alors pourquoi pas vous ? comme en parle Virginia Woolf dans cet essai féministe Une chambre à soi (le meilleur texte sur la question que j’ai lu). Oui, trouvez votre plénitude, votre liberté de création, c’est-à-dire dégagée de tout problème.

Joyeux Noël ! (encore un titre)

Yvno


PlayStation 1 : 
Lettre de Proust soi-disant au chien de Reynaldo Hahn dont je vous ai déjà parlée (ou Proust souligne une fois de plus de la supériorité de l’instinct sur l’intelligence — et pourtant Dieu sait qu’il était lui-même intelligent). Je souligne en gras les phrases importantes (en gros, le sens déjà exprimé plusieurs fois par moi : soyez des bêtes) :
« Mon cher Zadig
Je t’aime beaucoup parceque tu as beauscoup de chasgrin et d’amour par même que moi ; et tu ne pouvais pas trouver mieux dans le monde entier. Mais je ne suis pas jaloux qu’il est plus avec toi parce que c’est juste et que tu es plus malheureux et plus aimant. Voici comment je le sais mon genstil chouen. Quand j’étais petit et que j’avais du chagrin pour quitter Maman, ou pour partir en voyage, ou pour me coucher, ou pour une jeune fille que j’aimais, j’étais plus malheureux qu’aujourd’hui d’abord parceque comme toi je n’étais pas libre comme je le suis aujourd’hui d’aller distraire mon chagrin et que j’étais renfermé avec lui, mais aussi parce que j’étais attaché aussi dans ma tête où je n’avais aucune idée, aucun souvenir de lecture, aucun projet où m’échapper. Et tu es ainsi Zadig, tu n’as jamais fait lectures et tu n’as pas idée. Et tu dois être bien malheureux quand tu es triste. Mais sache mon bon petit Zadig ceci, qu’une espèce de petit chouen que je suis dans ton genre, te dit et dit car il a été homme et toi pas. Cette intelligence ne nous sert qu’à remplacer ces impressions qui te font aimer et souffrir, par des facsimilés affaiblis qui font moins de chagrin et donnent moins de tendresse. Dans les rares moments où je retrouve toute ma tendresse, toute ma souffrance, c’est que je n’ai plus senti d’après ces fausses idées, mais d’après quelque chose qui est semblable en toi et en moi mon petit chouen. Et cela me semble tellement supérieur au reste qu’il n’y a que quand je suis redevenu chien, un pauvre Zadig comme toi que je me mets à écrire et il n’y a que les livres écrits ainsi que j’aime. Celui qui porte ton nom, mon vieux Zadig n’est pas du tout comme cela. C’est une petite dispute entre ton maître qui est aussi le mien et moi. Mais toi tu n’auras pas de querelles avec lui car tu ne penses pas. Chez Zadig nous sommes vieux et souffrants tous deux. Mais j’aimerais bien aller te faire souvent visite pour que tu me rapproches de ton petit maître au lieu de m’en séparer. Je t’embrasse de tout mon cœur et je vais envoyer à ton ami Reynaldo ta petite rançon.
Ton ami
Buncht.
(L’orthographe originale a été respectée) »
Enfermez-vous dans la tête avec votre instinct, votre désespoir et chantez-le nous (disait Beckett).

PlayStation 2 :
Et je vous redis encore la phrase de Virginia Woolf qui indique comment jouer (il n’y a pas d’autre manière, il n’y a que celle-ci, mais certain.e.s en sont encore incrédules) : « All we can say about them [à propos des mots], as we peer at them over the edge of that deep, dark and only fitfully illuminated cavern in which they live — the mind — all we can say about them is that they seem to like people to think and to feel before they use them, but to think and to feel not about them, but about something different. » « Tout ce que nous pouvons dire à leur sujet [au sujet des mots], lorsque nous les regardons par-dessus le bord de cette caverne profonde, sombre et seulement convenablement éclairée dans laquelle ils vivent — l'esprit — tout ce que nous pouvons dire à leur sujet est qu'ils semblent aimer que les gens [nous, les acteurs !] pensent et ressentent avant de les utiliser, mais qu'ils pensent et ressentent non pas à leur sujet, mais à quelque chose de différent. » Nom d’un chien, apprenez cette phrase par cœur, gravez-la-vous dans votre cerveau en bouillie, mes pauvres chéris ! Une fois que vous aurez compris ça, vous aurez tout compris et à vous la liberté !… (Certain.e.s, je le redis, l’ont déjà compris.)

PlayStation 3 : 
Et puis, deux versions : 
« Merci, ma petite biche, t’es exceptionnel.le, tu sais »
Ou : 
« Merci, ma petite bitch, t’es exceptionnel.le, tu sais »

PlayStation 4 : 
A propos de la phrase de Claude Régy (déjà citée) : « Le théâtre, c’est le passage d’un instant à l’autre », deux autres citations que je trouve sur le site de France Culture à propos de Bergson :
« C’est le changement et le devenir qui intéresse avant tout Bergson. Il est considéré comme le philosophe du temps, celui qui a considéré que le temps n’était pas comme on l’avait jusqu’ici envisagé une illusion, une apparence, mais l’étoffe de la réalité, sinon la réalité elle-même. C’était comme un changement de perspective où il était proposé à la philosophie de se confronter au monde que nous avions devant nous et non pas à un autre monde dont celui-ci n’aurait été qu’un écran de fumée, parce que justement, il n’était que transitoire, un devenir, en cela il n’était pas la réalité elle-même. Mais la réalité est la transition elle-même. »
« L’idée de transition peut être confuse, elle s’applique aussi bien à l’espace qu’au temps… Si transiter est passer d’un lieu à un autre, c’est le voyage qui serait la transition ; mais c’est aussi bien dans le temps, changer, se transformer, passer d’un état à un autre, être le même et ne plus l’être. Et là tout change… ça veut dire que sitôt qu’on considère cette idée de transition dans l’espace, c’est les termes qui importent davantage que ce qui les relie. La transition au fond c’est quelque chose qui est coincé comme un entre-deux mais qui n’est pas prêt d’altérer les termes entre lesquels elle se trouve… Donc cette transition nous paraît inessentielle, c’est pour ça qu’on aimerait pouvoir se téléporter d’un lieu à un autre, parce qu’au fond ce n’est pas la transition elle-même qui compte, l’important serait la destination. Mais à considérer les choses ainsi, on quitte un lieu pour un autre et on resterait alors au même endroit ! Progressivement dans les voyages que nous faisons c’est toujours chez soi qu’on se retrouve parce que ce qu’on oublie c’est que l’essentiel dans le voyage, c’est le voyageLe moment où on s’altère soi-même, on devient un autre. »
« mais quand il s’agit précisément de dire ce qui ne peut pas se dire parce que la chose est toujours en mouvement, le langage a pour fonction de suggérer. »

PlayStation 5 : 
Pour l’ivresse (il fait un peu Gainsbourg.)

PlayStation 6 :
Un texte de Gérard Watkins sur Claude Régy qui est le plus juste que j’ai jamais vu passer (j’y aperçois bien son travail et sa folie, je le reconnais) : 
« Il fait froid. C’est dans la petite salle de l’Aquarium. On répète là. Pas grand chose comme lumière. Quelques quartz par terre. Une passerelle. Je reprends depuis le début. Simplement tu l’as fait. Gaël Baron n’a pas le temps de répondre. Gaël joue l’un. Je joue l’autre. Rien ne va. Je n’y arrive pas. J’entends Claude Régy me dire quelque chose. C’est très précis. C’est chirurgical. Cela raconte qu’il y a quelque chose de terriblement superficiel dans ma manière d’aborder le texte. Et tout en moi se bat. Tout en moi cherche. J’allume des images. J’en éteins qui ne veulent rien dire. Je vois un feu en train de brûler au milieu d’une salle à manger. Je sens mon regard se perdre entre le noir profond et les quartz. Je le sens tenter de traverser les murs. Je sais que quelque part là je peux peut-être atteindre cet inconscient qu’il cherche. Tomber sur le silence ou tomber en silence. Je sais aussi que c’est ma perte. Le formuler est ma perte. Le savoir est ma perte. Savoir que c’est ma perte est ma perte. Je reprends. Un long silence. J’écrase. J’écrase tout savoir faire. J’écrase tout savoir. J’écrase toute pensée. Je les broie les unes après les autres. Simplement tu l’as fait. Je n’ai pas le temps de dire fait. Je n’ai pas le temps de dire Tu. La voix de Claude résonne. Il décrit quelque chose qui a à voir avec les aimants. Quelque chose de géographique. Quelque chose a à voir avec les minéraux. Je comprends que je ne suis pas au bon endroit. Je regarde Gaël. Il me regarde et son regard tente de me rassurer. Il est loin et il est là. Il me regarde et son regard me dit : Je suis passé par là. Je veux puiser dans l’Un. M’oublier dans l’Un. Oublier le travail dans l’Un. Me réveiller sur une autre terre. Ne pas être là puisque ce n’est pas là que je dois être. Puisque je n’y arrive pas là où je suis. Simplement tu l’as fait. La voix de Claude plus forte cette fois. Il parle d’œsophage. Il parle de mort. Il parle aussi du soleil qui brûle. Je sais que c’est comme être brulé par la glace. Je comprends que tout cela est d’être comme brulé par la glace. D’être gelé par le feu. Je n’y arrive pas. J’écrase à nouveau. Je broie tout ce que je trouve. Je brûle je gèle tout ce que je ressens. Je ne comprends pas. Sur 4.48 psychose Claude était heureux. J’étais heureux. La, il est furieux. Je sens sa colère monter. Sa rage contre un théâtre qu’il déteste. Qu’il hait plus que tout. Je l’incarne, à ce moment, ce théâtre. Je l’entends comme je l’entends me dire : Sauvons-nous comme des voleurs dans la nuit, quand il a vu une merde approximative se jouer sur scène. Je ne regarde plus Gaël. Je pense à Yann qui arrive à déposer son corps comme un chiffon avant le travail. L’accrocher au porte-manteau du vestiaire. Comme je l’envie. Je suis fragile. Mes défenses hurlent. Va t-en. Sors de là. Mes défenses ne lâchent pas. Je les regarde. Je leur supplie de m’abandonner. Je reprends. Je pense aux derviches tourneurs. Je me sens tourner dans une glace brulante. Le feu crépite toujours au milieu du salon et je sais qu’il ne me sert à rien mais j’ai trop froid. J’ai trop honte de ne pas y arriver. J’ouvre un hublot. Il y a une tempête qui se déchaîne dehors. J’ouvre le hublot et je bois la tasse.  C’est de l’eau de mer. Ça me donne envie de vomir. Simplement tu l’as fait. J’entends Claude décrire la mollesse de mon entreprise. Je mors ma langue. Je sais que ça ne sert à rien d’aller chercher la douleur là. Je sais que cela n’a rien à voir avec la douleur. Je n’y peux rien. J’ai mal. Ma bouche devient molle. Je reprends. Cela part des orteils que je ne sens plus. Mon dos est en lambeaux. Cela fait deux heures que je suis sur Simplement tu l’as fait.  Cela fait cinq semaines que nous répétons Je Suis Le Vent de Jon Fosse. Je n’y arrive pas. Nous n’y arrivons pas.  Tout mon ailleurs est au rendez vous pourtant. Tout mon présent qui hurle sur mon ailleurs qui hurle sur mon passé. Simplement tu l’as fait sort très fort ce coup-ci. Il claque. Il sonne. Il lacère. J’entends Claude dire que ce n’est pas en faisant de la voix que je vais y arriver. Il me connaît. Assez bien. Il n’a aucune pitié. Je sais qu’il n’ a aucune pitié. Qu’il n’y en aura jamais. Qu’il n’y a pas de refuge.  Que son théâtre, si il sert de refuge à bien des êtres qui ne trouvent aucun sens ailleurs, ne se trouve pas dans un refuge. J’attends la pause maintenant. Je sais qu’elle va arriver.  J’espère qu’elle va arriver. Je n’en peux plus. J’aurais dix minutes à me rouler par terre.  Si seulement j’arrivais à être là. A cet endroit du crissement de la plume sur le papier.  Si j’arrivais à sauter de la plateforme au ralenti. Je dois faire face. Je dois faire face. Personne n’a vu Je Suis le Vent parce que Je Suis le Vent n’a pas eu lieu.  Nous avons jeté l’éponge. Je sais depuis quelques années déjà que c’est le plus beau spectacle que j’ai joué. Parce que je ne l’ai pas joué. Parce que la radicalité de Claude Régy va jusqu’à là. Jusqu’à l’impossible. Un impossible qui doit continuer sans cesse. S’éprouver sans cesse. Et que pour que cet impossible existe il faut bien qu’il le soit parfois, impossible. Un impossible qu’il m’a imprimé à tout jamais et sans lequel le théâtre ne sert strictement à rien. J’ai tenté ce soir de dire Simplement tu l’as fait. Lui dire. Et les mots sont restés terrés au plus profond du silence. Et c’est sans doute là qu’ils lui sont parvenus. » 

PlayStation 7 :
Depardieu (à Hervé Guibert) (cité par Christine Angot) (mais à l'époque (d'Hervé Guibert), Depardieu travaillait avec Claude Régy) (tout se tient) : « Les mots, ça embrouille plutôt les choses ; ce qui débrouille la vie, à mon avis, c’est pas tellement qu’on a l’impression d’être justifié par des mots, mais plutôt qu’on est sans mots. »

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