Thursday, February 06, 2020

Q uelque chose de Tennessee


Je vous écrivais déjà il y a quelques jours, en fait le soir où nous nous sommes quittés, déjà infiniment plus jeune, quand certains d'entre vous, je pense, étaient encore en boîte (vous savez laquelle). Je vous rassure, j’ai malheureusement déjà oublié Lara, bande-son de ce texte semi-drogué, déjà infiniment plus vieux (on vieillit plus vite à Paris) :

Voilà un titre pour le spectacle (futur) que vous allez jouer : Entre la vie et l’amour. C’est le titre du prochain spectacle de Catherine Lara qui a aussi une chanson qui s’appelle Entre violence et violon, pas mal aussi ! Vous pouvez avoir confiance dans ce spectacle qui est une forme, qui existe comme une forme capable de recueillir le bon et le défaut (qui n’est pas le mauvais) et capable — car accueillante — de vous permettre d’éclore en direct — ou, sera-ce vous, ces éclosions d’étoiles ou de fleurs, ces métamorphoses, ces va-et-vient ? Le travail, c’est l’espace, et bien faire comprendre au public qu’il est au pays réel des merveilles : pas obligé de comprendre, de suivre, mais obligé, s’il le veut bien, de se laisser porter, immersion, bain, songe, songe éveillé, imagination, infini, incompréhensions, raccourcis aussi bien (de compréhension) comme dans le puit d’Alice. Il me semble qu’il y a quelque chose de l’énorme vitalité de Tchekhov qui passe, comme au présent. Agrandissez vos espaces au-delà des murs — et sur votre côté, si vous êtes frontal, où il n’y a pas de spectateurs —, pour montrer votre liberté : vous n’êtes au service de rien, de personne, d'ailleurs vous n’êtes rien et le monde passe dans tous les sens, traversable, transparent, démontant le théâtre bâti des hommes. Je pense à cette citation de Francis Picabia (dans ce texte que je vais m'empresser de lire : Jésus-Christ Rastaquouère): « Moi, je me déguise en homme pour n’être rien ». La devise de l'acteur. Montrez les seuils, les frontières traversables comme celui d’être dans l’image et hors de l’image, passez et traversez, amusez-vous à passer et traverser, c’est ce qui est beau, voir un animal (donc un être qui a un bon rapport à l’espace) passer et traverser les frontières. Ne soyez pas entre deux, être en entier là — et, en entier là, c’est cela, passer des seuils, être en entier partout — S.Thala jusqu’à la rivière et au-delà de la rivière, c’est encore S.Thala — dans la vie et dans la mort. Soyez aussi comme une plante (donc un être qui a un bon rapport au temps). Vous êtes en entier partout et la vie n’est qu’une métaphore de la vie, spectre et jeunesse. N’ayez pas peur de comprendre que les écrivains, les vrais, c’est pas de la mièvrerie, du sentimental, ce sont des énergies, des énergies de massacre et de création, une cruauté très grande de lucidité et de dévoration — et un grand cœur de compassion inouïe qui pulvérisent les catégories. Pas de moralisme, le monde brut. Le génie, c’est très radical, Tchekhov, c’est très radical, souvenez-vous, Duras, quand elle parle de son travail parle d’un jeu de massacre des souvenirs et de la passion. Nous sommes des animaux très archaïques (des chimps) et puis il y a l’esprit, comme un futur, une compréhension, un progrès possible dans très, très longtemps, ça, c’est dans Tchekhov, et une adoration pour le présent, un Dieu à adorer, l’esprit. Hölderlin, le qualificatif associé à l’esprit : « commun ». Tenez, un quatrain de René Char qu’en général, je n’aime pas trop (il battait sa femme), mais qui vous va bien, très chers 

Compagnons pathétiques qui murmurez à peine, 
Allez la lampe éteinte et rendez les bijoux.
Un mystère nouveau chante dans vos os.
Développez votre étrangeté légitime.  

Et permettez-moi encore, puisque cette nuit avinée de deux whiskys (à 10€) le permet, de contrefaire la voix de Tennessee Williams qui n’a que peu à voir avec Tchekhov, mais on fait avec ce qu’on trouve et Catherine Lara m'amène, oui, à Johnny Hallyday : 

Oh, you weak, beautiful people who give up with such grace. What you need is someone to take hold of you--gently, with love, and hand your life back to you, like something gold you let go of--and I can! I'm determined to do it--and nothing's more determined than a cat on a tin roof--is there?

« Oh, vous, les faibles et les beaux, qui abandonnez avec tant de grâce. Ce dont vous avez besoin, c'est que quelqu'un s'empare de vous — doucement, avec amour, et vous rende votre vie, comme quelque chose d'or que vous laissez partir — et je le peux ! Je suis déterminé à le faire — et rien n'est plus déterminé qu'un chat sur un toit de tôle, n’est-ce pas ? »

Vive le whisky ! Allez, au dodo !

Yves-Noël

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