Monday, February 01, 2021

L e Scandale de la Vie


Je n’ai aucune fausse modestie — pourquoi en aurais-je ? je parle en spectateur. Le spectacle que nous avons inventé ce dimanche 31 janvier 2021 avec plus d’une centaine de participants dansant et plus d’une centaine de participants regardant est sans doute le plus beau de ma vie. L’un des plus beaux ? oui... mais je ne me souviens pas de m’être comparé comme hier — en pleine représentation ! — aux plus beaux spectacles que j’ai jamais vus de ma vie, c'est-à-dire, dans mon enfance, ceux de Pina Bausch et de Klaus Michael Grüber. Simplement, l’image des enfants : un spectacle où l’on peut laisser les enfants — on les y invite même — jouer en liberté, faire absolument ce qu’ils veulent sans indications, sans limitation de nombre parce qu'ils sont l’image de la justesse du spectacle, celle qu’on veut transmettre : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empêchez point car le Royaume des cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Jésus, selon Matthieu) ; « Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté » (Baudelaire) ; « changer la vie » (Rimbaud adolescent) ; leur bande-son permanente comme des oiseaux… dans le silence et l’immobilité finale, solennelle, sacrée, j’en ai entendu un qui disait : « Il est quelle heure ? » et j’en ai vu un autre lui montrer son poignet… Là, je l’avoue, pendant cette représentation, j’ai pensé que je n’avais jamais vu ça, j’ai même pensé orgueilleusement que Pina Bausch ne l’avait pas fait, elle qui a tout inventé du répertoire où je n'ai eu, moi, qu'à puiser (j’allais voir tous les spectacles tous les soirs) — et pourtant elle l’aurait signé. Fellini aussi l'aurait signé, Pasolini aussi. (C’est un exemple.) C'est aussi la manière de regarder un spectacle qui est changé. Il faudrait développer. L'indifférence — et l'amitié qui va avec — des « interprètes » envers les « spectateurs », des dansants avec les regardants. Tout ce qui apparaît et tout ce qui est caché, recouvert par ce qui apparaît. La vie, multiple et phénoménale. Vraiment, ça se rapproche de choses que je vois en rêve (je rêve beaucoup de spectacles quand je n'en réalise pas), on appelle ça l'imagination onirique. Mais ce qui fait la réussite de celui-ci (dans le sens absolu de la beauté), c’est qu’il est réel. Les plus beaux spectacles ont toujours un rapport violent, subjuguant, confondant avec le réel, que ce soit même dans les rêves. Il y a mille manières, mais celle-ci est la mienne. On croit qu’on est des amuseurs. Non. ON EST DES AMUSEURS. Le réel participe, s’il le veut bien. Le contexte passablement lourd, mais  — vous ne remarquez pas ? — joyeux aussi, comme un personnage de lumière, un père Noël solaire. Lumière réelle, pluvieuse et abritée, mouvante doucement. Espace accueillant — merci à l’équipe du Carreau du Temple avec laquelle(elle et moi) nous nous sommes entraînés mutuellement à réaliser l'impossible. Immense volume d’air bienveillant (ce qui fait qu’il y a eu beaucoup moins de risque d’y vivre que, sans doute, d’aller faire ses courses à la supérette). Accueil infini de qui veut, de qui prend du plaisir à être là, ce qui mène à la constitution d'une troupe organique idéale : les plus vivants, sans jamais rejeter la moindre personne, sans trier, mais ceux à qui ça fait le plus de bien, la nécessité. « Presque tout le monde ». Une amie m’a fait remarquer que ce bout de phrase prononcée à un moment dans la pièce aurait fait le titre de cette représentation. Rencontres infinies ; « Réunion des scènes infinie » (Rimbaud). Une méthode que je connais bien, mais, là, de manière comme qui dirait industrielle, à grande échelle. Fierté aussi d’avoir fini par réunir sept solistes aussi puissants que disparates, sans rapport de style, de danse, de présence, de personne : Janice Bieleu, Bruno Cezario, Maeva Lasserre, Lucille Mansas, Baptiste Ménard, Frank Willens, Wrestler, sorte de troupe d'un autre spectacle enserré dans le grand. Leurs différences permettant d’exacerber encore l’idiosyncrasie de tant d’autres dont la liste est à la centaine. Leurs virtuosités permettant d'entrer dans l'utopie, le petit communique avec le grand (il m'est de temps en temps arrivé le rêve que je remplaçasse Noureev à l'opéra). Merci aux gens venus de Nantes ! merci aux gens venus de loin ! merci aux gens venus de près ! merci au gens de l’Ecole du Jeu (beauté d’une nouvelle génération d’acteurs) ! On espère jouer pour le grand public, on a cette date de report (le premier jour du printemps) qui sera peut-être reportée encore, mais, en fait, on l’a senti, on pourrait jouer toute une série de dates ; avec ce qui s’est passé, je garantis que ce serait plein tous les jours. Merci enfin au public professionnel (donc) et amical qui était là : je sais que chacun pourra fièrement penser : « J’y étais ». Fierté de tout, fierté sans ambages : la vraie vie — peu importe les interdits et les obligations d'une société plus ou moins malade...


Portez-vous bien !


Yves-Noël


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