Philosophie
Ciao Yves-Noël,
Drôles de variations
taoïstes que tu nous as proposées hier accomplissant les figures
les plus périlleuses de la pensée chinoise : absence de
système, ne rien faire (et que
rien cependant ne soit pas fait) !
Dans ce réglage que tu
intimes au temps et à tes comédiens
qui le traversent de part
en part – animés par une force de dérivation, une aimantation qui a des
allures d'abstinence et qui les portent à ce point exacerbé où le temps est
dépris de sa propre durée.
En regardant ta création,
je pensais aux fragments de Barthes dans Le Neutre où il décline le Wou-Wei : le fameux non-agir. « Ce n'est évidemment
pas le contraire du vouloir-vivre; c'est ce qui déjoue, esquive, désoriente le
vouloir du vivre. Ce qui est exemption du vouloir, du volontaire
surtout. »
Pour laisser place à
la force d'incandescence et d'épuisement du kairos de la situation.
Barthes ajoute il y a
toujours l'idée en Occident que l'on doit le temps à quelqu'un, à quelque
chose.
Dans ton spectacle, tu mets
en oeuvre une autre idée du temps, celle du Tao où l'on s'assoit paisiblement sans
rien faire, sans rien faire ne
signifiant pas un néant, mais un agir de la situation elle-même, un laisser
advenir des effets-fruits du passage ; sans rien faire signifie surtout
sans dette, ne rien faire c'est-à-dire se retrancher de l'univers de la faute
immémoriale et du projet intenable.
Chez toi, les personnages
sont vraiment des personnes qui nagent, brassent le flux des
formes et passent par toutes les embrasures ou clairières du temps
jusqu'aux fenêtres, et c'est là qu'ils bougent le mieux. D'un lointain d'une
blondeur ou d'une moire en hors-champs venant faire scintiller le centre nu. Se
meuvent alors l'air d'une Deneuve revenue de Répulsion manger longuement et placidement une pastèque le
temps d'engloutir l'humeur et la nostalgie des Demoiselles de Rochefort et de nous embarquer auprès d'une autre figure
archaïque et cependant sauvagemment contemporaine déclinant tous les
répertoires de nos imaginaires actifs, La Dréville-Médée en son « Qui
suis-je ? » matriciel.
En tant que femme de logos
(trop sans doute), j'ai juste regretté plus de mots, même s'ils pourraient être
désarticulés, en démantèlement, plus de sons peut-être devrais-je dire. Ce Je
m'occupe de vous personnellement est
vraiment un acte d'ascèse sur l'intime, d'exégèse du temps et du silence.
Roland Barthes encore:
« Le kairos, la contingence, une image haute du Neutre, comme non-système,
comme non-loi, comme art de la non-loi. »
Ton spectacle : incarnation
du Satori tel que le définit
Barthes : un accès d'incandescence du moment dans sa pure exception.
Bravo à toi et ton équipe,
vv
(Violette Villard)
Et aussi je ne sais si tu
connais les Christ en acier d'Adel Abdessemed, les quatre qu'il a exposé à
Colmar – hier, je me voyais bien, au fond de ton plateau faire une christesse
en épines dorées, martyre immobile et sans feu, s'enchevêtrer tout au long de
la représentation de ces fils bronze et or, toujours cette même vision de
participer de tes spectacles.
Mais sans doute doit-elle
rester à l'état de vision… Jette un oeil à ces Christ de Colmar ils sont
saisissants !
Merci. Je lirai – en essayant de mettre le ton – ta lettre
aux pauvres acteurs (je leur en demande tant, c’est vrai…) Oui, tu ferais très bien la « christesse », mais c’est
justement pour ça que je ne t’emploie pas : TROP DRAMATIQUE (et en totale
contradiction avec ce que tu dis d’asiatique, je crois…)
Des bises, très chère et
très belle – bien plus belle que les fils de fer, certes saisissants, de
François Pinault ! – Violette
Yvno
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