R imbaud tout bleu
Philippe Dubois
Monsieur Genod,
Je me permets de vous écrire au propos de la représentation de dimanche.
Évidemment, voir un spectacle en ces temps difficiles fut une expérience vivante des plus plaisantes. Je connais assez bien votre travail, mais je n’avais pas imaginé votre capacité à faire coexister des corps, faire ainsi apparaître et disparaître les individualités.
Tout faisait spectacle et se jouait aux creux des espaces. On aurait aimé se lever et déambuler avec les interprètes. On ne savait d’ailleurs plus bien — et heureusement — discerner l’amateur du pro.
On retient ces formidables danseurs de krump, les voix des enfants, les scènettes par centaines (fleurs, vénérations, courses, combats, cris), ces personnes âgées presque immobiles, les bonds de cette grande et fine danseuse, les formes dessinées par cette autre au pantalon rose, extraordinaire. Et puis cette prise de parole ! On en voulait encore. Soudain, la voix sortait, abandonnait les gestes, nous invitait à ne plus être de simple spectateurs passifs et extasiés. On était face à la jeunesse, insulté par un Rimbaud tout bleu. L’intervention tellement inattendue qui s’en allait disparaître avec la danse de l’acteur, incarné. Tout au long du spectacle, on prenait en amitié des corps comme le sien, en suivant leur parcours, les retrouvant ici ou là. Personnage/personne ? Qui était cet interprète (que je n’ai peut être pas reconnu) ? Je ne crois pas le voir dans la liste des solistes publiée sur votre site.
Vous avez raison de citer Pina Bausch et Grüber, mais dimanche, avant toute forme d’intellectualisation, de références littéraires, vous avez invité la vie. Et pour cela, je vous remercie sincèrement, monsieur Genod.
J’espère que nous pourrons revenir en mars, beaucoup plus nombreux. C’est un spectacle nécessaire et essentiel.
P. Dubois
Oh, comme ça me touche, ce que vous écrivez si précisément ! Je ne suis pas le seul, donc ! à avoir vécu ce moment... Vous avez raison de vous intéressé au « Rimbaud tout bleu », on n’a pas fini d’en entendre parler ! Il s’agit de Zakary Bairi. Il a 17 ans (comme Rimbaud, en effet), il est surdoué, il s’ennuie au lycée (à Bordeaux) ; il mène la vie dure à ses profs, j’imagine ; il a déjà joué au théâtre (avec Michel Schweizer, Cheptel) ; il écrit (très bien) ; il est intelligent, drôle, extrêmement sympathique ; sa mère est chercheuse (en biologie, je crois), son père d’origine algérienne quasi illettré, m’a-t-il dit. Bref, c’est quelqu’un !
Lisez donc sa lettre ouverte au ministre Blanquer qu’il m’assure avoir écrite dans le train pour Bordeaux retour des pays chauds (féroces infirmes) — non, non, je veux dire : retour d’un week-end au Carreau !
Amitiés,
Yves-Noël
Labels: correspondance carreau
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