N otre, votre Peter
Chers amis,
Quelle incroyable chance nous avons eue — vous, les premiers, aux avant-postes — d’être les contemporains de Peter Brook ! S’il y en a un qui a sculpté nos vies, c’est bien lui… Pas seulement nos vies théâtrales, mais nos vies, notre manière de flotter dans l’univers — eh bien, cette manière, cette bouée, ce qui nous maintenait en flottaison s’appelait Peter Brook. Et ce qui est le plus important, merveilleux, c’est que cette habitation du monde ne s’appuyait pas tant sur un contenu que sur un contenant : c’était ce théâtre comme un rêve éveillé.
Ainsi rien n’a été plus facile pour moi que de bâtir la robe d’un spectacle comme 1er Avril (2014) — les cinquante premières minutes ont été trouvées en un jour, non retouchées ensuite. Il suffisait d’écouter les murs divins — je l’avais dit d’ailleurs aux journalistes —, tout était déjà dessiné par le magicien, par l’enchanteur, le Merlin. On ne peut pas rater de spectacle aux Bouffes (je l’affirmais). On le peut facilement si on n’écoute pas les murs. Mais si on les écoute, si on écoute Peter Brook, il le fait avec nous, le spectacle, il tient par la main, par le cœur, par je ne sais quoi, il aide — et cela passe aussi par vous, son équipe, ses proches (car, évidemment, c’est concret, ce n’est pas un fantôme) —, il n’abandonne pas, il ne m’a pas abandonné et vous n’abandonnez pas. C’est ce que j’ai ressenti, en tout cas, parmi vous.
Il faudrait peut-être des livres et des livres pour dire ce qu’on lui doit. Lui qui pourtant en a écrit beaucoup avait — de plus en plus — l’art de synthétiser, de résumer sa pensée à des formules, des mantras.
Je retrouve quatre phrases (par exemple) à la rediffusion du dernier entretien avec Laure Adler :
« On n’a rien payé et on n’a droit à rien, alors tout est un cadeau. »
« On n’a pas le droit de tirer des leçons morales et des généralisations ; on fait de son mieux dans le présent. »
« L’intérieur est une caisse de résonance où les décisions qui sont déjà là sont audibles. »
« Tout ce qui compte dépasse ce qu’on appelle l’ego. »
Oui, voilà des devises que j’exige toujours de moi.
Je vous embrasse, les deux Sophie, les deux Olivier, entremêlés, réellement tendrement,
Yves-Noël
Labels: correspondance bouffes
0 Comments:
Post a Comment
<< Home