L e destinataire s'est effacé
Quand je vois Legrand, des choses me déplaisent chez lui, dans son comportement, dans son apparence, de plus en plus souvent, d’ailleurs, mais je me retiens de lui en faire la remarque (déjà que mon état à ses côtés est une plainte sempiternelle : « aime-moi, moi qui t’aime »). Mais, quand je ne le vois plus, ces choses que j’avais détestées chez lui deviennent des fétiches d’adoration. C’est au cours de danse que j’écris ça (dans mon carnet rouge) ; du coup, je loupe la monstration de l’exercice à faire (que je ne ferai pas). Je me dis aussi (au cours de danse) que je devrais relire Fragments d’un discours amoureux feuilleté il y a fort longtemps (alors que je ne connaissais pas l’amour), ça m’éviterait peut-être de le réécrire. Mais il faudrait aussi que je lise Les Souffrances du jeune Werther, jamais lu, ah, mon Dieu ! il faut tellement lire pour comprendre que tout dans le monde tel qu’il se présente en sa propre expérience a déjà été dit, que le « dire » est assez circonscrit et qu'on ne peut jamais mieux dire que ce qui, un jour, a été dit définitivement. Et c’est souvent. Depuis le temps que nous sommes là et que Dieu écrit en nous. Je tombe à présent sur un passage de Paul Valéry (Tel quel, 1941) qui, en tout cas, corrobore : « Il n’existe pas d’être capable d’aimer un autre être tel qu’il est. On demande des modifications, car on n’aime jamais qu’un fantôme. Ce qui est réel ne peut être désiré, car il est réel. Je t’adore... mais ce nez, mais cet habit que vous avez… » Et encore : « Peut-être le comble de l’amour partagé consiste dans la fureur de se transformer l’un l’autre, de s’embellir l’un l’autre dans un acte qui devient comparable à un acte artiste, — et comme celui-ci, qui excite je ne sais quelle source de l’infini personnel. » Certes on s’embellit l’un.e l’autre, j’ai connu ça qu’on nomme l’amour et j’embellis Legrand dont la statue grecque ou romaine souvent s’humanise et s’enlaidit. Je suis consciente de ma pauvreté psychique à son approche, mais, néanmoins, je me vautre dans ce luxe du pauvre : embellir et aimer...
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« Le langage est une peau : je frotte mon langage contre l’autre. C’est comme si j’avais des mots en guise de doigts, ou des doigts au bout de mes mots. Mon langage tremble de désir. L’émoi vient d’un double contact : d’une part, toute une activité de discours vient relever discrètement, indirectement, un signifié unique, qui est « je te désire », et le libère, l’alimente, le ramifie, le fait exploser (le langage jouit de se toucher lui-même) ; d’autre part, j’enroule l’autre dans mes mots, je le caresse, je le frôle, j’entretiens ce frôlage, je me dépense à faire durer le commentaire duquel je soumets la relation. »
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