Saturday, January 04, 2025

N o Pain No Gain


Legrand m’avait amenée chez une libraire de son quartier qu’il m’avait présentée comme très misanthrope, mais qui se révéla fort sympathique. « C’était un bon jour », me dit-il après. Elle en voulait surtout aux touristes puisqu’elle était logée à Montmartre où, c’est vrai, l’on pouvait s’en plaindre. « Je fais la différence entre « touristes » et « voyageurs », vous voyez ce que je veux dire ? — Oh, je vois très bien, « touristes » est péjoratif et « voyageurs » ne l’est pas ! » Sa librairie étaient très encombrée, on ne pouvait pas s'y retourner de crainte de basculer les piles. Elle seule devait savoir assez exactement quels livres étaient autour d’elle. 


On était passés aussi devant cette merveilleuse église des Abbesses, je crois qu’elle s’appelle Saint-Jean-L’Evangéliste et — c’est moi qui l’avais demandé — nous étions entrés dedans. J’avais vu Leonardo le premier ôter son bonnet (malgré le froid) — je l’avais fait aussi (malgré le froid) — et dégager son crâne rasé. J’avais embrassé ce crâne dans le petit ascenseur qui nous montait chez la mère de Legrand (Legrand avait pris l’escalier) et j’avais senti qu’il ne l’avait pas rasé depuis la Saint-Sylvestre. L’église était mal éclairée, ce qui la rendait si belle, ses voûtes se perdaient dans l’obscurité comme une grotte. Nous étions chez Legrand dans ce quartier. C’était une merveille de le sentir comme un poisson dans l’eau. Le square où il jouait au foot jusqu’à ce que sa mère l’appelle de son cinquième étage : « Legrand, à table ! », la boulangerie où il était marqué, curieusement c’est vrai, deux fois le mot « pain », ce qui fait qu’avec un ami, chaque fois qu’il y passaient, ils ne pouvaient s’empêcher de prononcer à l’anglaise et de crier lugubrement « Pain… pain… » (« Douleur… douleur… »). Il n’était pas sorti de son quartier où étaient toutes ses écoles, ses amis jusqu’à ses 17 ans — où il s'était retrouvé en fac à Tolbiac. On allait de temps en en temps faire une excursion pour voir les grands-mères, celle du 7ième (rue Vanneau) et celle en face de la tour Saint-Jacques, mais c’était tout. Après les vacances, à la mer ou à la campagne, on revenait à Montmartre et l’on n’en bougeait plus. Les rues en pente étaient leur terrain de jeu, enfants puis ado. 


A un moment : « Bien sûr, les choses ont bien changé... », me disait-il. On débouchait soudain dans un endroit que ma sœur aimait particulièrement, mais je n’avais rien dit, je n’allais pas la ramener toujours avec ma sœur. Qui n’a pas


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