Friday, December 26, 2008

La maison où vivent mes parents

Qu’est-ce qui est terminé ? Qu’est-ce qui commence ? Qu’est-ce qui est ouvert ?






Jour de neige, jour de sang. Qu’est-ce qui s’est passé, se mélange ? Les bateaux sur le papier peint de ma chambre se balancent sans drogue, sans ivresse. La neige, la neige comme une pellicule de nuit, beaucoup de gens, peu de neige… S’il fallait raconter, ne serait-ce que cette journée dont la mémoire serait d’une journée… Une journée comme une unité de mesure – comme une louche, une… – comme ma mère qui dit : « Il a une puissance, une force qui renverserait les pyramides. » Comme je m’étonne de cette expression et que je lui demande où elle l’a trouvée, elle répond : « Je viens d’l’inventer. » C’est une chose. Voilà une chose.

Deuxièmement mon frère et sa femme (sont-ils mariés d’ailleurs ? je n’crois pas) m’offrent un livre de Paul Auster en américain dont la première phrase est très belle :
« I am alone in the dark, turning the world around in my head as I struggle through another bout of insomnia, another white night in the great American wilderness. »

Troisièmement les enfants. C’est inimaginable. Je ne peux rien en dire. Se référer à Pierre.

La beauté. La beauté des enfants... – bon, on est allé, sinon, juste se poser juste en contact avec la beauté, c’est à dire, les heures dans les paysages de neige, les heures qui deviennent roses.

J’ai revu Jean Guillet, le prêtre qui m’avait emmené dans les Alpes quand j’avais quatorze, quinze ans. Il est maintenant curé dans mon village natal. Il est allé chercher des photos et on a bien dû constater que cet adolescent longiligne, joyeux, presque carnassier (alors qu’en ville je suis efféminé), c’était ce que j’avais été, celui que j’avais été dans ces voyages qui m’ont tant marqué. Je dis au pluriel bien que je ne m’en souvienne que d’un seul (mais alors si nettement, comme la référence absolue). Mais les photos… Il y a donc eu deux voyages, un en Vanoise, un autre dans le Mercantour – je ne m’en souviens que d’un seul. Je me souviens de l’émerveillement suprême et que, de retour dans la plaine (après – j’imagine une dizaine de jours), je ne voulais plus parler à personne, plus renouer aucun lien et que ça avait duré au moins un jour – où j’étais cloîtré.

Pierre est très, très fort pour tout rassembler. Je voulais ressortir pour lui la citation de Duras où elle parle de quelqu’un comme moi, dans une solitude sans rites, sans lectures, une solitude terne. J’avais des pensées comme ça à cause de la puissance d’embrassement de Pierre.

La maison de mes parents se situe dans un lotissement à la lisière de la ville et de la forêt. Du coup, le ciel est séparé en deux : pas d’étoiles à gauche dans la partie au-dessus de la ville et plein d’étoiles à droite dans celle au-dessus de la forêt.






26 déc. 08.






« J’ai quand même raconté l’histoire. Hein, Yann, je crois que j’ai raconté l’histoire aux comédiens. Et j’ai parlé du caractère, de la nature, plutôt, d’Ernesto. Parce qu’il ne peut pas arriver au personnage, Ernesto ; il est trop vaste. Il est nommé, parce que c’est pratique. Ça m’émeut beaucoup, ce que je dis, parce que c’est ce que je pense de lui, ça. On le nomme, parce que c’est pratique, mais à tous les noms dont on le chargerait, il répondrait. Il ne sait pas qu’il s’appelle comme ça. Il ne faut pas, il ne faut pas dire le mot, mais c’est l’être humain, avec Yves-Noël, peut-être, qui est le plus proche de la sainteté, que j’ai jamais rencontré. Une sainteté aride, complètement solitaire, et probablement sans lectures, sans rites, sans messe, uniquement accompagnée de solitude, et d’une solitude terne. Voilà. Mais je crois que si on arrivait à dire des phrases comme ça, ça serait aussi fort que de nommer. Plus fort, je dois dire. Vous n’êtes pas convaincus ? »

Marguerite Duras, extrait d'une interview publiée dans « Le Journal de Pandora » à l’occasion de la mise en scène de
La pluie d’été par Éric Vigner au Théâtre de la Commune à Aubervilliers.

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