Monday, April 14, 2025

 
J’avais décidé de rester à Paris, je n’allais pas rejoindre la maison dans le Bugey louée pour Pâques par Christine Larivière (je mets son nom en toute lettre par snobisme, parce qu’il apparaît dans la Recherche et de manière inoubliable (et dans mon spectacle sur la Recherche). Il faut que je recherche le passage et je vous le mettrais, tenez. Je n’allais pas rejoindre ma campagne natale dans cette maison louée par Christine Larivière parce que les trains étaient hors de prix et que les blablablacar, eh bien, je pressentais l’impossibilité, en tout cas le rédhibitoire des embouteillages pour sortir de Paris… Laurence Chable, qui s’étonnait que je décroche si vite (j’avais le tél à la main), m’annonçait la mort de Nadia et, en effet, je ne l’avais pas vue depuis plusieurs années ; je l'avais, en fait, perdue de vue. Pauvre petite. On reste sur la dernière impression comme suspendue dans le temps, comme si on s’était dit « A demain » (et peut-être se l’est-on dit), le temps qui par ailleurs galope quand cette impression reste fixe, comme hors du temps, ce qui fait qu’on a l’impression de suivre Nadia, de voir en tout cas où elle se situe dans la vie, mais elle est morte déjà puisqu’on ne la reverra plus…
Nadia était atteinte du syndrome de Diogène, je demandais à Laurence de me rappeler ce que c’était exactement, puis je confiais rapidement : « Ah, il faut que je fasse gaffe, aussi… »
 
 
 
« Un neveu de Françoise avait été tué à Berry-au-Bac qui était aussi le neveu de ces cousins millionnaires de Françoise, anciens cafetiers retirés depuis longtemps après fortune faite. Il avait été tué, lui, tout petit cafetier sans fortune qui, à la mobilisation, âgé de vingt-cinq ans, avait laissé sa jeune femme seule pour tenir le petit bar qu’il croyait regagner quelques mois après. Il avait été tué. Et alors on avait vu ceci. Les cousins millionnaires de Françoise, et qui n’étaient rien à la jeune femme, veuve de leur neveu, avaient quitté la campagne où ils étaient retirés depuis dix ans et s’étaient remis cafetiers, sans vouloir toucher un sou ; tous les matins à six heures, la femme millionnaire, une vraie dame, était habillée ainsi que « sa demoiselle », prêtes à aider leur nièce et cousine par alliance. Et depuis plus de trois ans, elles rinçaient ainsi des verres et servaient des consommations depuis le matin jusqu’à neuf heures et demie du soir, sans un jour de repos. Dans ce livre, où il n’y a pas un seul fait qui ne soit fictif, où il n’y a pas un seul personnage « à clefs », où tout a été inventé par moi selon les besoins de ma démonstration, je dois dire, à la louange de mon pays, que seuls les parents millionnaires de Françoise ayant quitté leur retraite pour aider leur nièce sans appui, que seuls ceux-là sont des gens réels, qui existent. Et persuadé que leur modestie ne s’en offensera pas, pour la raison qu’ils ne liront jamais ce livre, c’est avec un enfantin plaisir et une profonde émotion que, ne pouvant citer les noms de tant d’autres qui durent agir de même et par qui la France a survécu, je transcris ici leur nom véritable : ils s’appellent, d’un nom si français, d’ailleurs, Larivière. »

Labels: ,

0 Comments:

Post a Comment

<< Home