Tuesday, September 19, 2023

C abots


« Et d’abord je trouve que le théâtre est un lieu de vérité. On dit généralement, il est vrai, que c’est le lieu de l’illusion, mais n’en croyez rien. C’est la société plutôt qui vibre d’illusion. Et vous rencontrerez sûrement moins de cabotins à la scène qu’à la ville. »

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Juste vous redire ce que j’ai dit à Arthur (à Laurent, à Ronan), que j’ai été très touché par ce que vous m’avez proposé. J’aime la clandestinité, celle des spectacles pas prévus, qui arrivent comme en fraude, par effraction. J’étais là presque par hasard dans une ville que je ne reconnaissais pas à cause de l’extrême chaleur et j’assistais — était-ce moi ? —, dans la grotte de l’après-midi, comme à un long festival ou peut-être comme à une seule longue représentation, pas sans effets de fatigue, certes, mais d’une richesse inégalée. Inoubliables pour moi sont les découvertes que vous m’avez fait faire, inoubliables, je crois, comme des spectacles d’enfance, des morceaux volés souvent d’une cachette poussiéreuse et noire d'un balcon ou d'une loge… J’ai vu ce que vous m’avez laissé voir, confiance, grâce (comme sans vous en apercevoir trop), vous le referez, dites ?… 
Vous avez jouez dans une île, dans des landes...
Le choix de Shakespeare, je n’aurais pas osé seul. Votre grandeur, vos puissances vous ont mis à niveau de celui qu’on dit le plus grand, le plus vaste, le plus humain, le plus touchant...
Vous l’avez remarqué, je ne peux travailler (et vous écrire) que d’une manière égoïste : je ne peux voir que ce qui me plaît, que ce qui résonne rêvé. Exquises esquisses. Si mes souvenirs sont bons, c’est Proust qui affirme que les humains sont des êtres « amphibies », dans le sens qu’ils vivent à la fois le jour et la nuit (l'élément liquide étant bien sûr la nuit). Je ne sais plus quel autre poète a dit que c’était un lieu, la nuit... 
C’est ainsi qu’il faut jouer, de plain-pied dans la mer profonde. Avec ce sourire, ce sourire qui en remonte...
Rêvez bien, travaillez bien d’ici bientôt et oubliez bien (pour que je puisse avoir le plaisir de répéter les citations...) 

Au plaisir donc de vous revoir encore en tant que ce spectateur follement privilégié dont vous me faites goûter l’espérance, la chance, la joie immédiate…

Yves-Noël

PS : Je voudrais voir plus Hortense et Félicien, s’il vous plaît ; sans que je m'en sois tellement aperçu sur le moment, c’est depuis, me manquent un peu

PS 2 : Ci-dessous une Ophélie trouvée exposée dans la salle où j’ai joué avant-hier en Normandie, un vieux moulin cinégénique où passent — encore leur parfum léger — Jeanne Moreau et Romy Schneider


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Monday, September 18, 2023

Oui, mais tu as très bien suivi ce que je disais… C’est pas Rodin, c’est Michel-Ange, à Carrare, le bloc de marbre, il voit déjà dans le bloc qu’il choisit la forme qu’il pourra faire apparaître en retirant de la matière. C’est ce que raconte Charles Péguy qui oppose le travail du marbre et celui du fer (jeu de mot avec « faire », bien sûr). La sculpture de fer, il faut rajouter de la matière ; la sculpture de marbre, il faut en enlever. J’ai parlé aussi de cette église d’Aubeterre creusée dans la montagne, intilulée « Cathédrale du Néant », bâtie, elle aussi, en retirant de la matière. Oui, quand qqch est bien, c’est un espace qui est creusé, c’est de la place en plus, pas en moins. Un auteur, imaginons un écrivain, il ouvre un espace dans ce qui était jusque là une opacité, un mur. On n'imagine jamais qu’il y a de la place pour un univers nouveau. Pourtant Proust, Woolf, Beckett, Kafka, etc., ils ont inventé des espaces dont on n’avait pas idée avant. Leurs œuvres fabriquent de l'espace. Oui, je vois les choses comme ça… (mais je vois que je ne peux pas tellement te l'expliquer plus), 


YN

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Monday, September 11, 2023

O ssip


« Je désire non pas parler de moi, mais épier le siècle, le bruit et la germination du temps. Ma mémoire est hostile à tout ce qui est personnel.

Si cela dépendait de moi, je ne ferais que grimace au souvenir du passé. Je n’ai jamais pu comprendre les Tolstoï et les Aksakov, les petits-fils Bagrov, amoureux des archives familiales avec leurs épopées de souvenirs domestiques.

Je le répète, ma mémoire est non pas d’amour, mais d’hostilité, et elle travaille non à reproduire mais à écarter le passé. Pour un intellectuel de médiocre origine, la mémoire est inutile, il lui suffit de parler des livres qu’il a lus, et sa biographie est faite.

Là où, chez les générations heureuses, l’épopée parle en hexamètres et en chronique, chez moi se tient un signe de béance, et entre moi et le siècle git un abîme, un fossé, rempli de temps qui bruit, l’endroit réservé à la famille et aux archives domestiques.

Que voulait dire ma famille ? Je ne sais pas.

Elle était bègue de naissance et cependant elle avait quelque chose à dire.

Sur moi et sur beaucoup de mes contemporains pèse le bégaiement de la naissance. Nous avons appris non à parler, mais à balbutier et ce n’est qu’en mêlant l’oreille au bruit croissant du siècle et une fois blanchis par l’écume de sa crête que nous avons acquis une langue. »

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Sunday, August 13, 2023

U ne scéno





 

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P ostface ?


Barbara disait : « J’ai pas de passé, j’ai pas de futur. Je n’ai que l’instant présent, très fort, violemment. Je crois qu’il faut pouvoir et savoir refaire sa vie à chaque matin. C’est très important. Il faut savoir aussi refaire l’amour à chaque matin, je veux dire par là : se reconquérir. Je ne connais pas de joie plus grande que celle de se donner, de se sacrifier, de se dépouiller pour ceux que l’on aime ou pour ceux que l’on ne connaît pas. Je pense que tout est amour. Enfin, ma religion, c’est l’amour ! » En déplaçant la difficulté de ce métier à l’essentiel, la vie, recommencer sa vie, Raphaëlle Rousseau — que je rencontre à l’école du TNB — dégageait l’espace de l’exactitude, de la trouvaille, de la non-retouche. Juste la robe qui convient, la fluidité. « Le personnage, on le voit arriver vers soi », disait Delphine Seyrig. Quand Raphaëlle s'est emparée de Delphine, j'ai eu l’impression que mon idole, plusieurs idoles, toutes les idoles de mon enfance pouvaient se re-matérialiser dans une nouvelle génération, traversaient les époques. Spectacle-étalon, si vous voulez, que cette Discussion avec DS. Le traitement d’amour que Raphaëlle fait subir à Delphine peut s’imaginer aussi pour d’autres. Les ombres agissent encore. J’ai été élevé par nombre de femmes qui se sont inventées, qui ont été pour moi des modèles, des mères de substitution. Femmes de lettres (comme on disait à l’époque) (Duras, Sarraute…) ou actrices (Renaud, Moreau…) On doit parfois s’inventer son matriarcat. Raphaëlle avait choisi le titre de ce premier spectacle que nous avons fait ensemble, à l’école du TNB. J’avais proposé une série de titres plus ou moins en rapport avec la nouvelle de Tchekhov dont nous nous inspirions (celle-ci s’appelle ‘Au royaume des femmes’) et Raphaëlle avait trouvé que J’ai menti était un bon titre. Aucun rapport apparent. Mais « J’ai menti » — je ne suis pas sûr d’y avoir pensé sur le moment  —, c’est le paradoxe du menteur et celui du comédien. Le menteur qui dit : « J’ai menti » ment-il ? À quel moment peut-on croire une actrice qui joue ? Delphine Seyrig qui a interprété Se trouver, de Pirandello, sous la direction de Claude Régy, savait répondre à cette question : « Et rien n’est vrai… Ce qui est vrai, c’est seulement qu’il faut se créer, créer ! Et c’est alors seulement qu’on se trouve ». A une question sur son talent, Barbara avait répondu : « Qu’est-ce que c’est que le talent ? Est-ce que ce n’est pas entrer en scène et sourire ? » (Vous savez tous les secrets…)


Yves-Noël Genod

Tuesday, August 08, 2023

« Parce que parfois on va trop vite, on veut être partout et quelque part on est nulle part aussi » (François Damien)


« Mettre un peu d’art dans sa vie et un peu de vie dans son art. » Une devise pour notre projet ! (prononcée par Louis Jouvet dans Entrée des artistes)


« Rien n’est faux. Il suffit d’avoir un peu la foi et tout devient réel. » (id)


« Comme moi, vous vivrez plusieurs existences. » (id)


J’imagine un spectacle. Qu’est-ce qu’on aurait à dire qui équivaudrait à ne rien dire ? Il faut dans le spectacle une partie chaque soir improvisée, fabriquée localement, « Vous, Madame… » (et pas une autre). Comme quand je vais voir ma mère : c’est tous les jours la même chose et pourtant il y a des événements. Il faudrait comprendre qu’on peut tout jouer et que c’est tous les jours la même chose. Bref, il faut des interprètes de génie. Quand je parle d’« interprète de génie », les gens qui me connaissent savent quelle est ma référence. Celui auquel je pense peut tout jouer sans que ça change quoi que ce soit. SANS QUE ÇA CHANGE QUOI QUE CE SOIT. Bien sûr, que faire si on n’a pas totalement l'accès au même génie ? Tant mieux, peut-on se dire, tant mieux... Eh bien, jouer comme lui, viser de jouer comme lui, rien que la visée vous rend meilleur ; je peux en témoigner, il jouait son spectacle aux Bouffes du Nord juste avant le mien sur Proust, au lieu de m’écraser, ça  m’a porté, ça m’a donné des ailes. S’il brûlait, lui, comme un astre, je pouvais au moins m’approcher de sa chaleur. Cela dit, Claude Régy qui était allé le revoir lorsqu’il projetait de monter SOUTERRAIN-BLUES — ça ne s’était pas fait, à l’époque, Peter Handke traversait une période tempétueuse, il a été réhabilité aujourd’hui, il a reçu le prix Nobel — avait été déçu : ce n’était plus le jeune homme musculeux qu’il avait connu, il jouait avec une oreillette (je ne sais pas, sans doute que ça se remarquait…). Le spectacle que j'ai vu (5 fois), il lisait des prompteurs, ça ne gênait personne. C'est d'ailleurs une idée à reprendre pour nous aussi, si ça peut nous simplifier la vie, faut pas hésiter...


Et puis dans une liste ouverte des phrases bien tournées qu’on aimerait retrouvées dans le spectacle (vous connaissez cet artiste, cet écrivain, Jean-Jacques Schuhl qui rêve d’écrire des livres sans aucune phrase « de lui ») : 


« l’au-delà, l’élevé, l’autre — ou quel que soit le nom que l’on aimerait donner à l’espace supra-empirique scellé par des choses vagues chargées de pouvoir ». Ce qu’il écrit bien, ce salaud ! (J'ai nommé Peter Sloterdijk, ma nouvelle lubie...)


Peut-être que notre compagnonnage ne devrait être qu’une longue dramaturgie qui accumulerait nos lectures, quoi, nos recherches, sur 2 ans et qu’au final — si bien remplis de sens —, nous jouerions directement sans même avoir à répéter (un peu la méthode du groupe belge Tg Stan, non ?) 


(Mais dans de beaux costumes, quand même…)


« Il avait une passion particulière pour ces zones où les contraires deviennent indiscernables. » (Isabelle Huppert parlant de Claude Régy)


« Par exemple, l’odeur du grille-pain, le pain grillé, les bruits de pas dans la neige, faire du ski, se perdre, le soleil... » Olivier Van Hoofstadt, le réalisateur belge de Dikkenek, explique que, pour préparer son projet, il avait passé un an à faire des listes dans un cahier, page de gauche, de choses qu’il aimait (comme ici), page de droite de choses qu’il détestait


Allez, une phrase de Paul Valéry pour nous élever : « L’homme est généralement absurde dans ce qu’il cherche, mais il est admirable dans ce qu’il trouve ».

Ça tombe bien, 1) nous aimons le théâtre de l’absurde, 2) nous, les troubadours (ok, j’aime aussi les saltimbanques, ceux qui sautent sur le banc), nous sommes étymologiquement « ceux qui trouvent ». Bref, n’ayons pas peur de nous montrer en train de chercher, de patauger, mais n’oublions pas que nous devons trouver. Ce sont deux temporalités, la durée fastidieuse de la recherche, l’éclair de la trouvaille 


De toute façon, faire du théâtre est absurde (alors qu’il suffirait de danser comme des poissons ou des oiseaux)


Sinon on pourrait dire dans le spectacle : « Heureusement que ce soir c’est gratuit, hein, parce que sinon ce serait vraiment, heu… » (Elle dodeline de la tête.) Hein ? » 

Enfin, on peut d'ailleurs reprendre tout le sketch de Marie-Thérèse Porcher. : « Quoi vous avez payé ? C’est pas vrai, ils vous ont fait payer pour ça ! Pour un discours interminable entre quatre bacs à géraniums et sous une guirlande ridicule ? »


Bises, 


Yvno

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Monday, August 07, 2023

Il semblerait que beaucoup souffre du patriarcat. C’est la couveuse mère-enfant qui, moi, m’a posé problème. Mon père m’a sauvé. Il n’a pas pu sauver ma sœur. Paraît que le modèle de la mère est plus fort encore pour une fille que pour un gars. Il aura fallu si longtemps pour que la relation avec ma mère s’atténue. Il a fallu son sacrifice dans la maladie, la folie retombée comme un soufflé, son amour animal naïf révélé. Je te baise les mains, je t’adore, je suis heureuse, ma joie est comme celle de Madeleine Renaud dans Oh les beaux jours. Dernier et premier bonheur avant l’éteignement... 


Avec ma mère, nous sommes allés au square comme tous les jours de la marmotte, mais, ce dimanche, un plancher de bal était dressé devant le kiosque à musique (qui, justement, abritait l’orchestre). Alors, un inégalable spectacle (seule la Corse est le véritable spectacle, mais comme nous n’avons plus la Corse) de Jérôme Deschamps ou de Christoph Marthaler. De Tati ou de Fellini. Ou de Jean Eustache quand il filme La Rosière de Pessac. Bien sûr de Pina Bausch. J'ai dansé avec ma mère...


Quotidiennement, ma mère et moi, nous touchons ensemble cette frontière à partir de laquelle on cesse de se poser des questions, mais je n’ai pas de solution pour les retours. Les retours sont éprouvants. Ma mère s’arrête tous les trois pas pour me demander son chemin et si c’est encore loin. J’ai envie de lui dire : « Mais avance, alors, si tu es pressée de rentrer ! » Elle rejoint la plainte (de toute sa vie), son asservissement au diable. Dans les retours, aucun progrès en faveur de la « liberté sous Dieu ». C’est pour ça qu’il me vient une certaine insensibilité. Je voudrais changer de mère, je connais trop le cinoche de la mienne. Il y a du choix, à la maison de retraite : tant de femmes du même âge (un certain âge) dans des états divers ; je pourrais venir et me tromper. En voir une autre. Puis une autre. Varier. Des rigolotes, des plaintives. Celles qui se plaignent sont des tragédiennes. Elles en font des tonnes, elles jouent, mais, quand même, elles arrivent à capter ma sympathie (comme l’effet recherché de la tragédie grecque des origines : ressentir en même temps la même douleur). Les actrices, c'est les plus douées...


Peut-être que ma mère pourrait s’appeler Ida. Ou Solange. Ou Marie-Claude. Suzanne, Yvonne, Simone. Henriette, Danielle, Marie-Huguette. Rolande. Marie-Madeleine. Lucette, Josette. Rita, Raymonde. Andrée. Monique. Eliane, Giselle. Ginette, Yvette. Marcelle, Josiane, Marguerite. Denise, Nicole, Marie-Thé… Je dois avouer : j’aime bien les vieilles dames ; ça m’excite, ces prénoms…

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Sunday, August 06, 2023

P rojet pour une préface



« Rien n’est faux. Il suffit d’avoir un peu la foi et tout devient réel » (Louis Jouvet dans Entrée des artistes)




Raphaëlle Rousseau a été un cadeau quand j’ai enseigné à la première promo de l’école du Théâtre National de Bretagne, à Rennes, sous la direction d’Arthur Nauziciel. Elle était par son intelligence, sa confiance, son instinct, que sais-je ?, son truc en plus, la cheftaine de cette jeune troupe, mais sans que ça se remarque. Elle laissait la place aux autres et leur partageait généreusement son enthousiasme ; quand c’était son tour, elle livrait la maison clef en main, sans que rien ne manque jusqu’aux petites cuillères. Une interprète idéale pour les metteurs en scène paresseux dont je me revendique. Le personnage, le tableau, la composition, tout ce que vous voulez, tout était là, ready made. Exactement ce qu’un poète américain a défini ainsi : « Not ideas about the thing, but the thing itself ». Exactement ce qu’une chanteuse européenne a défini ainsi : « J’ai pas de passé, j’ai pas de futur. Je n’ai que l’instant présent, très fort, violemment. Je crois qu’il faut pouvoir et savoir refaire sa vie à chaque matin. C’est très important. Il faut savoir aussi refaire l’amour à chaque matin, je veux dire par là : se reconquérir. Je ne connais pas de joie plus grande que celle de se donner, de se sacrifier, de se dépouiller pour ceux que l’on aime ou pour ceux que l’on ne connait pas. Je pense que tout est amour. Enfin, ma religion, c’est l’amour. » En déplaçant la difficulté de ce métier (à l’essentiel), Raphaëlle Rousseau, dans ce premier spectacle, dégageait l’espace de l’exactitude, de la trouvaille, de la non-retouche. La robe qui convient, la fluidité. La magie du jeu. « Le personnage, on le voit arriver vers soi », disait Delphine Seyrig. Quand Raphaëlle s'est emparé de Delphine, j'ai eu l’impression que mon idole, plusieurs idoles, toutes les idoles de mon enfance pouvaient se re-matérialiser dans la nouvelle génération, traversaient les époques. Spectacle-étalon, si vous voulez, que cette Discussion avec DS. Le traitement (d’amour) que Raphaëlle fait subir à Delphine peut s’imaginer aussi pour d’autres. Les ombres agissent encore. J’ai été élevé par nombre de femmes qui se sont inventées, qui ont été pour moi des modèles, des mères de substitution. Femmes de lettres (comme on disait à l’époque) (Duras, Sarraute…) ou actrices (Renaud, Moreau…) ; on doit parfois s’inventer son matriarcat. Claude Régy qui avait beaucoup travaillé avec Delphine racontait, à la mort de celle-ci, que, bien entendu, il choisissait les textes, bâtissait la mise en scène… mais que le véritable chef de troupe, presque sans que ça se remarque, c’était elle. Elle aimantait les acteurs autant que le public. Autre chose encore. Raphaëlle a choisi le titre de ce premier spectacle que nous avons fait ensemble, à l’école du TNB. J’avais proposé une série de titres plus ou moins en rapport avec la nouvelle de Tchekhov dont nous nous inspirions (celle-ci s’appelle ‘Au royaume des femmes’) et Raphaëlle avait trouvé que J’ai menti était un bon titre. Aucun rapport apparent. Mais « J’ai menti » — je ne suis pas sûr d’y avoir pensé sur le moment, — c’est le paradoxe du menteur et celui du comédien. Le menteur qui dit : « J’ai menti » ment-il ? À quel moment peut-on croire une actrice qui joue ? Delphine Seyrig qui a interprété Se trouver, de Pirandello, sous la direction de Claude Régy, savait répondre à cette question : « Et rien n’est vrai… Ce qui est vrai, c’est seulement qu’il faut se créer, créer ! Et c’est alors seulement qu’on se trouve ». A une question sur son talent, Barbara avait répondu : « Qu’est-ce que c’est que le talent ? Est-ce que ce n’est pas entrer en scène et sourire ? »


Yves-Noël Genod

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