Thursday, December 03, 2015

H istoire d’amour


Gwenaël Morin qui m’accueille depuis septembre dans son « théâtre permanent » installé au théâtre du Point du jour (et jusqu’au 31 décembre, on finira par la reprise de Rester vivant, le spectacle d’il y a un an au théâtre du Rond-Point) a beaucoup, beaucoup aimé Par délicatesse j’ai perdu ma vie. Il me l’a redit hier après-midi ; on s’était installé dans un lieu stratégique symboliquement fort : le grand théâtre antique de Fourvière qui domine la ville, au soleil sur la pierre bimillénaire… Il m’a redit aussi qu’il avait beaucoup aimé N°5, la masterclass, qui ne s’est malheureusement jouée que trois fois. Il en a aimé le côté foisonnant (je dirigeais des interprètes) comme les tableaux de Bosch ou la Divine Comédie, « Au début, tu gardes le contrôle et, à un moment donné, une espèce de foisonnement primitif ». Après la représentation de Par délicatesse j’ai perdu ma vie, Gwen est allé « marcher dans les feuilles mortes » et il a aimé sentir du dedans (le théâtre) dehors de même qu’il avait aimé sentir, dans le théâtre, du dehors dedans. Gwen a écrit (bombé) sur le grand panneau devant le théâtre le poème entier de Rimbaud d’où est tiré le titre, Par délicatesse… Et je lui dis que, moi, un de mes plaisirs, après la représentation, est d’apercevoir, encore à l’intérieur du hall où je bois du champagne en bavardant avec les uns et les autres, les mots agencés d’Arthur Rimbaud qu’après le lavage de la représentation, j’ai l’impression de sentir « à niveau ». Par la porte vitrée, j’aperçois ce sizain : « Ainsi la Prairie / À l'oubli livrée, / Grandie, et fleurie / D’encens et d’ivraies, / Au bourdon farouche / De cent sales mouches. » Gwen me dit qu’on devrait venir voir mon spectacle, Par délicatesse j’ai perdu ma vie, « comme dans une ville maritime on va voir la mer, chargé d’une certaine tristesse qui nous conduit à aller voir la mer ». A Lyon, me dit-il, il n’y a pas la mer, alors on pourrait voir ton spectacle à la place. Mais Lyon est d’une beauté extrême, comme on le constate assis sur les pierres où l’on voit jusqu’aux Alpes. « Souvent, me dit-il, les bourgeois vont au théâtre joyeux et en ressortent déprimés (c’est en tout cas une opération qu’affectionne Edward Bond) et, avec tes spectacles, ce serait bien que ce soit le contraire. » Je comprends ce qu’il comprend. Mes spectacles ont assez à voir avec un « théâtre thérapeutique », en débarrassant cette expression de tout ce qu’elle a de déjà connu (que je ne connais pas). Oui, surtout, peut-être, celui-ci qui est né des circonstances violentes du 13 novembre (les mêmes qui ont supprimé — mais ce n'est pas grave — cinq représentations de N°5). « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve », se répètent encore les témoins 

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Cher Yves-Noël,
La fête des Lumières annulée et la COP 21 verrouillée étaient donc au Point du jour dans ce nouvel épisode !
J'ai pensé à la forêt de Macbeth qui s'avance peu à peu vers nous, inquiétante ;
au théâtre de Bussang dans les Vosges, qui n'aurait plus besoin de donner sur un dehors toujours déjà dedans ;
à l'artiste Giuseppe Penone, ses milliers de feuilles de thé odorantes ;
à d'énormes pots de peinture à l'huile déversés sur le sol, qui retournent à la boue ; 
à mon Limousin natal ;
à la pluie qu'on entend derrière sa fenêtre et qui berce nos mélancolies ;
à des éclairs muets parce qu'intérieurs ;
à la brume des rêveries ;
à une forêt qui résonne de notre absence.
Amitiés,

Jérémie Majorel

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