Monday, June 09, 2025

F outu pour les autres

 

Il y a quand même une chose inexplicable dans le théâtre. Parfois, souvent. Par ex, cette actrice, Suzanne de Baecque, bon, elle m’invite la voir dans La seconde surprise de l’amour, une belle pièce très bien montée par Alain Françon, toute la distribution est parfaite, c’est magnifique, il y a aussi Pierre-François Garel que je connais un peu et que j'admire beaucoup. Tout le monde est merveilleux, exact. Mais Suzanne joue Lisette, la domestique. C’est extraordinaire, ces rôles de valets chez Molière, chez Marivaux, leur franc-parler, je ne sais pas, je n’ai pas étudié la question, c’est ceux qui emportent le morceau, non ? Mais il faut l’accepter. Il faut accepter de jouer « l’emploi ». Dominique Valladié, par ex, était partie de la Comédie française en leur disant : « J’en ai marre de jouer vos bonniches » (il me semble encore l’entendre raconter). Suzanne, elle, accepte à 100 % de jouer la bonniche. Je lui ai dit : « On dirait que tu inventes le rôle. » C’est vrai, on dirait ça. Elle s’est taillée le rôle sur mesure comme une robe et elle se l’est enfilé nue dedans. Intelligence précise et facilité d’apparence. Je regarde le texte de la pièce sur le Net, je m’aperçois de la difficulté de ce qui semblait l’aisance-même, l'audible-même durant la représentation. Ne serait-ce que le maniement limpide de l’imparfait du subjonctif : « En vérité, Chevalier, je souhaiterais que vous restassiez »,  « Je ne savais pas que mes beaux yeux enseignassent la rhétorique » (Je ne sais même pas comment on dirait en français moderne.) Et je m’aperçois que Lisette, pour moi, c’est maintenant Suzanne de Baecque, comme Madeleine Renaud, c’est Oh les beaux jours. C’est foutu pour les autres

 

« le public croit toujours qu'un artiste travaille dans l'aisance, dans la facilité et dans le luxe »


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