Friday, July 27, 2012

Souvenirs romantiques



« D’un air très simple, très naturel et parfaitement détaché, comme s’il eût débité un lieu commun à la Prudhomme sur la beauté ou la rigueur de la température, il avançait quelque axiome sataniquement monstrueux ou soutenait avec un sang-froid de glace quelque théorie d’une extravagance mathématique, car il apportait une méthode rigoureuse dans le développement de ses folies. Son esprit n’était ni en mots ni en traits, mais il voyait les choses d’un point de vue particulier qui en changeait les lignes comme celle des objets qu’on regarde à vol d’oiseau ou en plafond, et il saisissait des rapports inappréciables pour d’autres et dont la bizarrerie logique vous frappait. Ses gestes étaient lents, rares et sobres, rapprochés du corps, car il avait en horreur la gesticulation méridionale. Il n’aimait pas non plus la volubilité de parole, et la froideur britannique lui semblait de bon goût. On peut dire de lui que c’était un dandy égaré dans la bohème, mais y gardant son rang et ses manières et ce culte de soi-même qui caractérise l’homme imbu des principes de Brummel. »

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Charles Baudelaire



1• La haine est une liqueur précieuse, un poison plus cher que celui des Borgia, – car il est fait avec notre sang, notre saleté, notre sommeil et les deux tiers de notre amour ! Il faut en être avare.

2• L’amour, c’est le goût de la prostitution. Il n’est même pas de plaisir noble qui ne puisse être ramené à la Prostitution.

3• Les singes du sentiment sont, en général, de mauvais artistes. S’il en était autrement, ils feraient autre chose que du sentiment.

4• Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion).

5• Ne pouvant pas supprimer l’amour, l’Église a voulu au moins le désinfecter, et elle a fait le mariage.

6• Dieu est un scandale, – un scandale qui rapporte.

7• Le stoïcisme, religion qui n’a qu’un sacrement, le suicide !

8• Avis aux non-communistes : Tout est commun, même Dieu.

9• Le mal se fait sans effort, naturellement, par fatalité ; le bien est toujours le produit d’un art.

10• Comme le péché est partout, la rédemption est partout, le mythe partout. Rien de plus cosmopolite que l’Éternel.

11• Le rire est satanique, il est donc profondément humain.

12• Il serait peut-être doux d’être alternativement victime et bourreau.

13• Et qu’est-ce qui n’est pas une prière ? – Chier est une prière à ce que disent les démocrates quand ils chient.

14• Je suis un vrai débauché. J’aime l’orgie, et j’y apporte le condiment de l’ironie.

15• Beaucoup d’amis, beaucoup de gants, – de peur de la gale.

16• L’esprit du Mal, même quand on ne lui livre qu’un cheveu, ne tarde pas à emporter la tête.

17• Le Dandy doit aspirer à être sublime sans interruption. Il doit vivre et dormir devant un miroir.

18• Vouloir tous les jours être le plus grand des hommes.

19• Être un homme utile m’a paru toujours être quelque chose de bien hideux.

20• Toute littérature dérive du péché.

21• Être un grand homme et un saint pour soi-même, voilà l’unique chose importante.

22• Tout est néant, excepté la Mort.

Comme une poule devant un couteau




Pendant deux secondes, je me demandais dans quelle chambre j’étais. Je n’étais pas chez moi : c’est donc que la vie est libre. En plus, la chambre vaste baignée dans une chaude lumière. Berlin. Berlin continentale. Là aussi, j’étais venu avec le beau temps, il n’avait pas fait beau jusque là. J’étais triste pour la Bretagne – pour les gens de Bretagne que j’aimais – les gens-paysage – qu’il fasse désormais, après mon départ, mauvais. Ce que j’écris, je ne suis pas loin de le penser : j’étais un peu sorcier dans ce voyage, je n’étais pas tout à fait « moi » dans ce voyage. « Moi » était une personne très triste, mais je n’utilisais pas beaucoup « moi » dans ce voyage. J’utilisais la voiture de mon père, je ne dormais pas chez « moi », j’utilisais la liberté. La surface. La capacité de regarder les autres (les autres-paysage), d’aller chez les autres, ma capacité de déceler le paradis – le paradis sur terre – capacité pour laquelle je m’étais entraîné, aguerri dans le dernier travail, au Rond-Point, Je m’occupe de vous personnellement (et toute l’année où j’avais beaucoup travaillé). J’avais encore triché. J’avais encore fait croire à tout le monde que je travaillais pour les autres (théâtre, comédiens, spectateurs) ; en fait, j’avais réussi encore à faire ce que je voulais, une fois de plus, à ne faire que ce que je voulais : travailler pour ma pomme, travailler à déceler, à acquérir de l’adresse, de l’entraînement, au décèlement du paradis sur terre, du paradis terrestre, ceci en vue de survivre, moi, sans avoir besoin de « moi », de survivre quelques temps en voyage, en illumination-paysage, en poésie, en présence – sans la tristesse, sans la dépression, sans la misère, sans l’enfer des relations humaines que j’avais décelé, malheureusement aussi, en décelant le paradis. « Déceler », ce mot qui revient est vraiment l’image de la pierre, mais tout est image de la pierre, le lecteur de ce blog, depuis quelques années, l’aura compris. Arnaud me l’avait gentiment fait remarquer la veille : que je ne m’empêchais pas de ne parler que de Pierre, Pierre ceci, Pierre cela, Pierre Courcelle et de réenvoyer à son blog pour toujours et à jamais. Ah, ça se voyait à ce point ? J’avais raconté à Arnaud la brouille fictive (pour moi, fictive), l’impulsion de jalousie d’Olivier à partir d’un texte anodin qui s’était terminé par l’explication d’Olivier à Pierre : « Nous sommes deux coqs (cocks) qui nous battons pour toi. » « Nous »… Je ne me reconnaissais pas du tout dans ce « nous », encore une fois Olivier voyait midi à sa porte (j’avais pensé), je ne me battais pas du tout et je n’étais pas un coq. Je lui donnais au contraire Pierre en entier, tout en entier, surtout. Mais j’avais trouvé – en lisant – je parlais toujours à Arnaud – une formule qui, en effet, aurait pu remplacer, c’était « intrigue profonde ». Je me reconnaissais (un peu) là. Arnaud en était effrayé, trouvait l’idée atroce. Je m’étais endormi en regardant une très belle œuvre de Bruce Nauman que j’avais trouvée sur Facebook, Seven Figures, de 1985. C’est une série d’emboîtements sexuels de figures masculines, mais avec un léger bouger (les corps faits deux fois) et l’ « aura » procurée par le dessin comme au néon de couleur sur fond noir (en fait, c’est une œuvre clignotante, j’ai vérifié, il y a des vidéos sur Youtube). Cette œuvre avait sublimé pour moi la dernière partie de la journée. Nous étions au Möbel, le célèbre Möbel, le bar sous la barre d’immeuble à Kreuzberg, peuplé presque exclusivement de garçons et débordant sur la nuit chaude. On nous avait fait rentrés au bout d’un moment (le voisinage). Les garçons étaient très garçons, travaillaient la journée sur des ordinateurs, architectes, design, graphistes… j’étais au milieu de la matière humaine, la matière-chair, la matière masculine comme une poule devant une brosse à dent – quelle est l’expression ? Bref, je ne savais pas quoi faire de cette « matière homosexuelle ». Tout le monde avait l’air heureux, les têtes de tous les siècles, archaïques, Cranach, Falk n’avait pas compris, je pensais qu’il y avait des Cranach à Berlin, je voulais voir des Cranach, il ne voyait pas ce que je voulais dire, mais si, Lucas Cranach, c’est très connu ! La Fontaine de jouvence, de Lucas Cranach, à la Gemäldegalerie.

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