Tuesday, April 19, 2011

Les Gens de mi-chemin

« Comme, comme vous êtes à mi-chemin, heu, y a toutes les chances que vous, que vous rencontriez aussi des gens qui sont à mi-chemin. – Oui, ça, ça, ça m’paraît très clair, oui. – Et donc la conscience est à mettre là, est-ce que, vers quelle rive on va ? Est-ce qu’on r’tourne à l’ancienne rive ou est-ce qu’on va vers la nouvelle rive ensemble. – Mm. – Parce qu’effectivement y a, y a un truc qui est juste chez vous dans c’que vous nommiez tout à l’heure... – Voilà. – C’est que le, c’est toujours être avec d’autres ou travailler avec d’autres. – Oui, oui, oui. – Le côté one man show, bon, pas trop. – Oui, oui. – Pas trop. Ça vous emmène dans des trucs de réussite apparente, mais de… – Oui. – De perte de vous-même en vérité. – Oui, oui, oui, oui. – Donc non. – Oui, oui, exactement. »

Photo Marc Domage. 1er avril. Jeanne Balibar.

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Titre de stage : Au cœur du sujet

J’ai commencé un stage à Rennes, à l’école du TNB (Théâtre National de Bretagne) dans des journées qui doivent être les plus belles de l’année, je pense, pleine lune, la mer, avril, l’été… Fenêtre ouverte, le silence.
Quand on regarde les actualités, à Paris, et qu’on les trouve sordides (la plupart du temps), on pense qu’on est protégé à Paris (puisqu’on y vit bien) et que donc, sans doute, c’est ailleurs en France que ça s’passe mal. Mais quand on vient en province (pardon, en « région »), on s’aperçoit de la « qualité d’vie » (expression qu’avait relevée perfidement Christine Angot), on s’aperçoit qu’elle y est encore supérieure qu’à Paris. Des villes comme Rennes, Nantes, je me souviens, Bordeaux… C’est incroyable ! Et comme on y mange bien (mais c’est plus cher qu’à Paris) ! Le cabillaud, la dorade. Vin fruité, croquant. Je dépense pas mal d’argent à déjeuner et à dîner en province, mais quel plaisir, mon Dieu (et à mon âge, voyez, il ne me reste que la gourmandise).
Les enfants sont très bons, je trouve, rapides, entraînés (ils bossent ensemble depuis un an et demi). Ils ont à la fois déjà un grand savoir professionnel et encore leur visage d’enfant, leurs cheveux touffus, c’est très sexy. J’ai beau penser exactement comme François Tanguy : « Le mot que je déteste le plus quand on parle de théâtre, c’est le mot « texte » » (salut, Olivier Py), je dois dire aussi que je suis ébloui de ce qu’un texte peut trimballer, littéralement sidéré. Quel beau vaisseau, la littérature, facile, pratique, accueillant ! Tous les textes que nous avons fréquentés cette après-midi dans notre laboratoire noir-heureux parlaient de ciel bleu (réel, à Rennes) avec des métaphores variées : « bleu comme un œil » (Lenz, de Büchner), « bleu comme un couteau », Elfriede Jelinek... et La Chevauchée sur le lac de Constance : « Mon cher, ce ciel bleu que vous voyez-là, sur l’étiquette, il existe vraiment là-bas ! » Y a des choses sublimes, déjà. Duncan va travailler sur Gérard de Nerval (là, je tombe dans les pommes) et Marina sur Jorge Luis Borges (ici, je rechute !) Allez, demain, s’ils sont si bons et travailleurs, et jeunes, je leur parle de Pierre Guyotat et de Dante... Et si Olivier Steiner me donne la permission, dès que (je suis sur les starting-blocks), je fonce : Tristan et Isolde. Il faut encore que je me trouve un logement à Berlin et une salle de travail.

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Photo Marc Domage. 1er avril. Marlène Saldana.

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La Trappe de l’amour du monde (au cœur du sujet)

« Comment vous pouvez fonder un projet, une école, un mouvement. – Mm. – On est dans… avec cette trappe, cet axe de base qui est l’amour du monde. – Mm. Tout à fait. Y a une phrase, heu, dans mon dernier spectacle avec une actrice chanteuse, traduite d’une chanson qui existe de, brésilienne, Caetano Veloso et ça disait : « Naviguer, c’est précis, vivre, c’est pas précis. » – Mm. – (Rire.) – C’est vrai. – (Rire.) C’est joli… – Joli, oui. – Ce rapport entre la navigation et la vie qui… – Oui, d’autant plus que, qu’en hébreu, le, le moi, enfin l’égo, le moi, c’est l’même terme pour le moi qu’un navire, que le navire. – C’est génial, ouais, ouais. – Donc le moi est défini comme un, comme un navire qui vaque sur l’océan… – C’est ça. – De (…) de l’infini. – Ah, c’est très… Ouais. Et ouais. Du coup, tout ça, Le bateau ivre, et tout ça, ouais. Ouais, ouais… Le bateau vivre. – Le bateau vivre. – Eh ben, ben, c’est bien, heu… – Voilà. Ça va tout ça ? – Ah, ça va très bien. On est au cœur du sujet. – Très bien (Rire.) »

Après, faut y aller (l'ouverture récurrente du cœur vers le monde)

« Très bien. Voilà. Eh, ben, du pain sur la planche… – Ouais. (Rire.) Ça va l’faire, hein. – Mm. – Ça va l’faire… – Oui, oui parce que c’est vrai qu’y a pas tellement d’autres solutions. – Non, sinon vous restez coincé… – Sinon, j’reste coincé… – Entre l’image qui cherche à survivre… – Voilà. – La peur qui arrête les projets, bon, et puis l’errance qui s’remet en route par ailleurs, donc... – Donc c’est un processus de survie que je ressens de beaucoup… – Voilà, voilà. – Mais j’voudrais m’en sortir… – Voilà. – De cette juste survie. – Tout à fait. Et donc ça passe par la redistribution et, là, du coup, quand on r’garde sur vous, ça peut vraiment prendre de l’ampleur. – Mm. – Le projet, pas vous. – J’pense oui. Ben, oui, parce que, si c’est juste, ça prend d’l’ampleur d’soi-même indépendamment des capacités intellectuelles, tout ça, j’crois. – Bien sûr. – Parce que j’me plains souvent si j’avais un meilleur cerveau, si j’pouvais avaler des livres, etc. mais… – Aucun intérêt. – C’est pas ça, non plus. – Aucun intérêt. Vraiment aucun. – C’est pas ça parce qu’en effet c’est des dimensions d’cœur… – Vous, vous… Fondamentalement votre énergie d’base, c’est la dimension d’l’amour, c’est pas la dimension d’l’intelligence. – C’est ça. C’est ça. – N’allez pas rechercher l’intelligence parce que il y a eu une blessure d’amour qui cherche... et l’intelligence cherchera à comprendre et à compenser. C’est pas… Ça peut compenser, mais ça résout pas les problèmes. – Ça résout pas les problèmes… – Pour résoud… Le problème de la blessure d’amour, vous le résorberez par l’ouverture, heu, récurrente du cœur vers le monde. – Obsessionnelle, oui, ouverture obsessionnelle. – Ouais, quasi. Quasi. – Oui, oui. Ben oui. – Par contre, après faut y aller. – Hein ? – Après faut y aller. – Après faut y aller, après c’est… faut pas être trop paresseux, quoi… – Non, mais la paresse, vous savez, c’est ces… C’est ces mémoires de cour. – Mm… – Des gens qui s’laissaient porter. Leur croyance, c’était : on est dans une vie d’facilité, d’aisance, de jouissance, tout est bien et p’is, pof, on va être sur la pente la plus facile du plus grand plaisir et p’is voilà, quoi. – Ouais, ouais, ouais. Ouais, mais c’est ça. C’est ça. J’ai fait une fois un p’tit travail…»

La Lune

Hello,
J'ai eu ton message. pas de problème pour Les enfants de novembre, que j'ai écouté cet aprèm. Mais que disais-tu ? Ce serait une performance de vingt minutes pour les TJCC ? Si jamais il y a trois mille euros dans le budget pour moi, n'hésite pas ! (Je plaisante.) C'est juste qu'on m'a proposé un autre projet cet aprèm, avec cette fois un piano, dans un lieu que je ne connais pas à Montmartre (http://hotel-particulier-montmartre.com/), sans budget aussi.
Je suis chez mon père depuis hier, plein soleil, je suis déjà caramel. Je pensais aux années à venir, la nuit dernière, je n'arrivais pas à dormir (et je suis sorti dans le jardin à trois heures du matin : pleine lune lumineuse... fallait pas chercher plus loin, ça me fait souvent de l'effet), et j'hésitais, pour la rentrée 2012 (faut se projeter loin parce que ça se prépare bien « en amont », comme toi pour les spectacles), entre réintégrer l'enseignement (en province, à la campagne, en Normandie, avec du temps libre et le grand air, et surtout pas pour être super-prof qui court après les projets pédagogiques sarko-expérimentaux), et me démener pour partir dans le privé (sachant que ça signifiera quitter la folie du ministère pour une autre folie). Ah ! J'ai l'impression que ce serait tellement plus simple si j'étais rentier !
Bisous,
Pierre






Ah, l'argent...
Tout à l'heure, j'ai demandé (au téléphone) à mes parents s'ils pouvaient me faire une avance sur héritage ! (Mais ils ne le peuvent pas, il faudrait qu'ils vendent une maison...) Laurent Goumarre m'a demandé de reprendre Barbara à Gennevilliers, mais (est-il naïf ?) quand il a demandé lui-même ce qu'il restait (évidemment, c'est dans un mois), ben, il reste rien... Il s'est décidé à prendre trois cent cinquante euros sur son propre salaire, mais ça ne suffit pas pour payer Guillaume et Nicolas... Ni son ni lumière (ni champagne ni fleurs...) Je vais voir si c'est bien de faire un petit truc d'un quart d'heure, mais pas sûr... Et, toi, mon coco, on est bien content que tu saches gagner ta vie !
Mes conseils : aller dans le privé, oui, pas rester au ministère, mais pas repartir prof (même si la situation de Quintane est tentante, j'imagine, sécurité de l'emploi et temps plus libre qu'une autre profession...) Il me semble que la folie du privé est à connaître... (Surtout si c'est réussir à trouver de l'argent pour l'art...) Et elle t'amènera ailleurs... C'est vrai que ce serait bien que t'arrives à te mettre de l'argent de côté – au cas d'une année sabbatique, par exemple... Mais tout ça est une question d'intuition, n'est-ce pas ? Te trouver du temps, ouais !
J'aimerais bien te prendre comme attaché de diffusion, de production, tu serais évidemment efficace – même sur un mi-temps... Mais, malheureusement, comme ça ne se payerait qu'au résultat sur les subventions et les ventes obtenues, je ne pourrais pour l'instant qu'imaginer une avance pour te payer sur ces recettes futures...
J'ai rencontré un type fascinant, samedi, j'ai presque compris pourquoi tu m'aimais : il y a en moi beaucoup de mémoires d'artistes de cour (beaucoup de femmes au clavecin...) Je décrypte peu à peu l'enregistrement. Si, un jour, tu as envie de savoir de quoi ton âme s'est chargée avant ta naissance... (Je crois que ça t'amuserait...) C'était étonnant, pour moi, en tout cas, de parler pendant presque deux heures avec quelqu'un que je n'avais pourtant jamais vu (qui lisait dans mon heure de naissance), mais qui était celui dont j'avais le sentiment qu'il me comprenait le mieux de tous ceux avec qui j'avais échangé dans ma vie au moins professionnelle (tout se rattachait – positivement – à mon travail et à mon ambition, à mes difficultés et à mes rêves et on ne parlait ni de papa ni de maman, ça aussi, quel soulagement !) Peut-être avait-il lu mon blog... Peut-être avait-il mené une enquête... Ou peut-être, en effet, on peut lire dans le ciel comme Mallarmé l'imaginait... (La lune, cette tache d'encre...) Je pensais aussi, peut-être, pour Estelle... Je ne sais pas, mais ne faut-il pas lui proposer... avant qu'il ne soit trop tard – peut-être que son destin n'est pas écrit définitivement dans le funeste...

Love des (probablement) plus beaux jours de l'année à Rennes...

YN

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Poème de cour

J’écris comme je respire. Je lis Gatsby (le magnifique). Il y a la lune, en effet, mais, si j’allume l’électricité, je ne la vois plus… La lune qui brille « comme une hostie » – ou comme Chateaubriand l’a vue. Je ne la vois plus, mais je la lis. Il faut me prendre au sérieux. La Bretagne légère. Tous ces gens qui dorment. L’argent. Où est l’argent ? La lune dort, dort dans son argent où elle dore au soleil.
Oui, je n’en lirai pas d’autre. La lune d’argent inodore, réputée, le long du pont, quand on arrive. Quelques heures, dormir au soleil.

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« Cueille-moi donc une rose, mon trésor, et verse-moi une dernière goutte dans cette flûte de cristal. »

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