Saturday, May 27, 2017

L ancement


Oui, il faut que je vous écrive un mail. Il y a une idée de cinéma qui a l’air de prendre. Patrick Laffont (grand talent, avec qui j’ai travaillé sur plusieurs spectacles avec de la vidéo-scénographie, sens du grandiose, de la beauté, enfin, et tout et tout, pour résumer) a l’air motivé. Motivé, ça veut dire beaucoup de rêverie. Beaucoup de rêverie : rien n’est encore décidé et cela va prendre du temps d'élaborer tout un projet (grandiose et léger). Mais Patrick est libre cette semaine, une semaine à partir d’hier et jusqu’au 4 si j’ai compris — et moi aussi. Et je trouve ça très bien qu’on commence tout de suite à faire des essais, du casting, et à réfléchir sur des protocoles, des règles d’élaboration. Nous savons ce que nous ne voulons pas, ce que nous aimerions que ce soit, évidemment Beauté contemporaine, évidemment contemplatif, évidemment sans narration, mais Patrick dit que c’est impossible, sans narration, et je le pense aussi (le cerveau fait des histoires), mais trouver comment susciter chez le spectateur la disponibilité maximale à ce qui advient, à ce sens des histoires qui n’en finit pas d'advenir. Comme s’il était possible, peut-être, d’être disponible au cinéma pour la première fois. Marguerite Duras parle (dans Les Yeux verts) d’une séance de ciné du temps où il y avait encore des « actualités »  avant le film où elle avait été enchanté d’entendre les commentaires de deux femmes très naïves qui avait cru qu’elles voyaient un seul film — avec une narration décousue au début, le héros assistait à un match de foot, à un déploiement militaire, à un discours du président lors d’une inauguration, etc. — et qui se resserrait ensuite. C’est cette disponibilité à ce qui est devant soi, le réel avec un cadre, une fenêtre qui ferait la beauté du film. Il faudrait que ce soit léger. Un atelier de légèreté. Un atelier de jeunesse. Patrick pense aussi à une chose qui peut être magnifique, travailler à partir (et dans un va-et-vient) de tableaux anciens, trouver les correspondances entre modèles anciens et contemporains et je pense en effet que le moyen de résister à la narration au cinéma étant sans doute de flirter avec la photographie, plutôt que de s’intéresser aux animaux humains, s’intéresser à eux comme à des plantes, des plantes humaines. Vous voyez ce que je veux dire. Proximité avec les plantes. J’ai souvent travaillé et parfois plus spécifiquement sur l’idée de jardin (à partir de l’œuvre de Gilles Clément, par exemple), Jardin d’Eden bien entendu (Jardin des Délices, etc.) et cette idée a été réactivée pour moi par la réflexion remarquable de Emanuele Coccia à partir d’un entretien dans « Diacritik » : « Les plantes montrent que vivre ensemble n’est pas une affaire de communauté ni de politique ». Patrick pense que ce que je propose renvoie à la notion de hors-champ, le drame (le dramatique) serait hors champ. C’est vrai. Je m’intéresse par exemple au porno à cause des visages (voir exemples ci-dessous). Il parle aussi du joli mot de Gilles Deleuze à propos du gros plan que Deleuze appelle une affection (dans le sens où dans la vie cette image tu ne l’as qu’en étant très proche). D’ailleurs, il y a des choses sublimes chez Valentin de Boulogne, une expo au Louvre où il n’y a personne, mais très difficile d’accès parce qu’il s’agit d’un billet groupé avec l’expo Vermeer (où il y a en revanche la terre entière). Philippe Lançon écrit à son propos : « le peintre n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ménage naturel, spectacle et intériorité » (mélange que j’aime, moi aussi, voir associé à mes spectacles). Il s’agirait d’un work in progress, dans l’idée de monter au fur et à mesure ce qui est tourné et de progresser sur la constitution du projet et sa porte de sortie (diffusion, etc.) en même temps que de le réaliser…

Ce mail pour lancer l’entreprise. 

Bien à vous, 

Yves-Noël

L’exemple que me donnait Patrick de tableau à réactiver : La Mort d’Abel, par François-Xavier Fabre (au musée de Montpellier)



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