Sunday, March 16, 2014

S aint-Jean-aux-Bois, 16 mars



L 'Anecdote (manifeste)

  
Il ne faudra pas m’en vouloir si je ne trouve pas comment faire entrer dans ce spectacle ceux que je n’y ai pas déjà fait entrer. C’est très difficile, on manque de costumes (je rappelle cette phrase  : « Idéalement, des costumes avec personne dedans »). Il manque des chapeaux claques, des bijoux, des fleurs, des guêtres, des nœud pap, des cuirasses, de la fringue, de la mode, des robes, des robes de bures des moines et des moniales, tout mélangé, le mélange de la rue, il le manque, ce qu’on voit incroyablement dans la rue quand on voit, il le manque. Mon amie Isabelle Luccioni m’a beaucoup fait rire tout à l’heure. Elle m’a raconté qu’elle n’était allée qu’une fois aux Bouffes du Nord, que c’était il y a longtemps pour une sorte de séminaire avec 10, 15 personnes organisé par Peter Brook sur 4 jours qui portait sur la question : « Comment faire pour que les comédiens soient meilleurs ? » ou : « Comment faire quand un comédien n’est pas bon sur le plateau ? » — enfin, qqch comme ça, la justesse, toujours la même question, comment aider qq’un qui est en difficulté, etc. Vous voyez ? tournez-le dans tous les sens (elle ne se souvenait pas de la formulation exacte), c’est ça. Tout le monde assis au sol sur des coussins à boire du thé, Peter Brook en short et en godasses de moine intervenant le matin et, l’après-midi : « table ronde ». Il y avait Stéphane Braunschweig qu’elle trouvait insupportable, bon. Et puis le quatrième jour, il y a un Africain qui a pris la parole (peut-être du Cameroun, elle ne sait plus, un type connu) et il a dit en substance (qq’un me ferait un accent s’il vous plaît ?) : « Moi, la seule solution que j’ai trouvée, c'est de les faire courir dans la savane, je les fais courir comme des malades, je les fais porter des tables et des chaises et, là, quand ils sont vraiment au bout du rouleau, quand ils sont vraiment fatigués, ils sont excellents. Il faut leur faire porter les tables et les chaises, tout le matériel que vous avez (même si vous êtes très pauvre, il y a toujours des tables et des chaises), faites-leur croire qu’il y a un déménagement », etc. Après cette intervention sidérante, Peter Brook a repris la parole pour conclure de son merveilleux accent anglais (please, qq'un me le fait ?) : « C’est la seule pensée valable que j’ai entendue depuis ces 4 jours ». Isabelle Luccioni ne se souvient de rien d’intéressant de ce séminaire à part, oui, cette anecdote. Donc je répète ce que j’ai déjà dit : je ne ferai pas travailler : je ne crois pas du tout au travail (ou alors comme cet Africain : fatiguez-vous avant de venir). Je n'y crois pas parce que je pense comme Woody Allen, je le constate, que le travail, à part la grâce inestimable de la fatigue, fait justement perdre l'excellence, qu’il faut être génial (c’est-à-dire entier) tout de suite — et que la seule difficulté — au théâtre —, c’est qu’il faut pouvoir refaire ce que l’on a fait une fois. Il faut pouvoir réitérer cette excellence de l'« état de l'apparition » (problème évidemment moindre au cinéma). Je m’intéresse à l’« état de l’apparition », celui de la pleine santé des choses et, ensuite, comme l’a relevé Patrick Sourd (l'un des critiques aux « Inrocks »), l'associant à une méthode de soin, je ne sais plus laquelle, à un certain rapport médecin-malade le malade devient responsable de sa propre guérison : vous êtes responsable de retrouver ce qui vous a « échappé » une fois excellemment, l’« état de l’apparition », vous êtes responsable de cette poésie, l’excellence et le scandale de l’excellence.

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O ui



N ote aux acteurs (4) (citations de Franz Kafka)


« Il y a un but, mais pas de chemin. Ce que nous nommons chemin est hésitation. »



« En réponse à cette question pressante: N'y a-t-il vraiment rien qui soit immobile ? Zénon dit : Si ! la flèche en plein vol est immobile. »



« Le besoin de métaphysique n’est que le besoin de la mort. »



« Extérieurement nous allons paisiblement côte à côte, mais pendant ce temps-là l'air qui nous sépare est sillonné d'éclairs comme si quelqu'un le fendait continuellement à coup de sabre. » (Extrait d'une lettre à Felice.)


« On a tort de sourire du héros qui gît en scène, blessé à mort, et qui chante un air, au théâtre. Nous passons des années à chanter en gisant. »



« Croire au progrès ne signifie pas qu’un progrès ait déjà eu lieu.  »



« Les questions qui ne se donnent pas de réponse elles-mêmes en naissant n'obtiennent jamais de réponse.  »



« La vie est une perpétuelle distraction qui ne vous laisse même pas prendre conscience de ce dont elle distrait.  »



« L'art vole autour de la vérité, mais avec la volonté bien arrêtée de ne pas se brûler.  »



« On peut facilement tirer tant de livres de la vie et l'on peut tirer si peu, si peu des livres.  »



« Le Messie ne viendra que lorsqu'il ne sera plus nécessaire, il ne viendra qu'un jour après son arrivée, il ne viendra pas au dernier, mais au tout dernier jour.  »



« Théoriquement, il existe une possibilité de bonheur parfait : croire à ce qu’il y a d’indestructible en soi et ne pas s’efforcer de l’atteindre.  »



« La croissance de l'homme ne s'effectue pas de bas en haut, mais de l'intérieur vers l'extérieur.  »



« Les chaînes de l'humanité torturée sont en papiers de ministères.  »



« La littérature : un coup de hache dans la mer gelée qui est en nous.  »



« On ne devrait lire que les livres qui nous piquent et nous mordent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d'un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ?  »



« L'art est, comme la prière, une main tendue dans l'obscurité, qui veut saisir une part de grâce pour se muer en une main qui donne.  »



Et puis celle-ci, mais qui n’est pas de Kafka (quoique il faudrait vérifier) :

« Il est trop tard pour avoir peur. »

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