G rande transformation
« Ô monde
! et le chant clair des malheurs nouveaux ! » (Arthur Rimbaud)
Je soutiendrai — et mon
travail le prouve depuis le début, en particulier parfaitement consciemment
depuis le projet avec Nicolas Moulin dans le noir total (Le Dispariteur, Ménagerie de Verre) — tout ce qui ira lentement ou à
grande vitesse vers la décroissance. « Que le monde aille à sa perte,
c'est la seule politique », avait dit en son temps Marguerite Duras et
elle ajoutait : « « Sa perte », c'est comme le lait qui se répand ». Rien
ne se perd, tout se transforme et il est bien clair, pour moi, que les avides —
les riches, les ultra-riches — veulent gagner la guerre et la mort. A nous,
sans états d'âme, à faire avancer la paix et la vie.
« Pour
l’intellectuel Patrick Viveret, il est nécessaire de « mettre en scène et en
chaîne » les initiatives populaires : entretien par
Sylvain Bourmeau.
Intellectuel
historique de la deuxième gauche autogestionnaire, inlassable militant et
penseur audacieux, Patrick Viveret est membre du Pacte civique et du Collectif
Roosevelt.
Le terme de
crise est-il encore pertinent ?
C’est un mot
écran. Normalement il décrit une situation aiguë, conjoncturelle. Mais là on
parle d’une «crise» qui durerait depuis les années 70… Il vaudrait mieux
emprunter à Karl Polanyi son concept de « grande transformation » pour qualifier
cette nouvelle mutation profonde, à la fois écologique, globale, sociale et
informationnelle. Ou parler, avec Edgar Morin, de « métamorphose ». En fait,
comme l’ont pointé les Indignés, la crise est une arnaque. C’est le récit qu’a
inventé une oligarchie mondiale pour préserver ses intérêts alors que le monde
est bousculé par cette « grande transformation ».
Cela passe notamment
par le discours sur la dette. Michel Rocard et Pierre Larrouturou l’ont montré
dans un livre récent : le processus de la dette est apparu avec les politiques
reaganiennes et thatchériennes. Et cela relève davantage de l’escroquerie en
bande organisée que de la crise.
Face à ce
déjà vieux discours de la crise, des citoyens de plus en plus nombreux font
preuve d’initiatives originales. Mais ces actions donnent l’impression d’être
parfois naïves et surtout très locales. Pourquoi ?
A l’échelle
mondiale, la créativité citoyenne est extraordinaire. Elle s’exprime
simultanément dans deux directions : par la vision transformatrice qu’elle
dessine et sur le terrain de la résistance au grand narratif de la crise.
Alors, bien sûr, ces initiatives sont souvent modestes et locales. Face à la
crise du macrocrédit, on oppose des expérimentations dans le domaine du
microcrédit, pour ne prendre qu’un exemple. Non pas pour en rester indéfiniment
à cette échelle mais, au contraire, avec l’objectif de préparer des réformes
plus générales du macrocrédit.
Pourquoi ces
initiatives demeurent-elles relativement invisibles ?
La créativité
est considérable, mais elle est souvent invisible et peu reliée. C’est l’une
des raisons qui nous conduit à lancer, le 12 octobre, des états généraux de la
transformation citoyenne. L’idée consiste à mettre en relation des plateformes
qui sont elles-mêmes déjà collaboratives — comme le Collectif Roosevelt, le
Pacte civique, le Collectif pour une transition citoyenne, etc. Face à
l’incapacité des formes politiques traditionnelles à inventer, il devient
urgent de mobiliser cette énergie citoyenne, de mettre en scène et en chaîne
ces différentes initiatives. Sinon, c’est tout simplement le Front national qui
pèsera encore plus fort sur la politique et la société. Il nous faut
interpeller les pouvoirs publics en leur demandant tout simplement de remplir
leur office ministériel au sens propre, de se comporter en véritable service
public qui aide et accompagne cette énergie citoyenne au lieu de la bloquer.
Que pourrait
faire un gouvernement pour encourager ces initiatives ?
C’est la
discussion que nous — le Pacte civique, le Collectif Roosevelt et d’autres —
avons eue, il y a quelques semaines, avec Jean-Marc Ayrault. Curieusement, le
diagnostic fut partagé. Le Premier ministre nous a confié combien, à chaque
fois qu’il se déplace sur le terrain, ces initiatives lui redonnent du courage,
mais combien aussi elles lui semblaient trop peu visibles et reliées. Sa
crainte, compte tenu du discrédit du politique, était que toute forme d’aide
soit vécue comme une récupération, une instrumentalisation.
Nous lui avons expliqué que, de
notre côté, nous étions prêts à prendre nos responsabilités en suscitant une
vaste initiative citoyenne mais qu’il fallait impérativement que cela se
traduise, à un moment donné, par de nouvelles formes de contrats passés avec
les institutions de la République. Nous l’avons prévenu que si le gouvernement
n’était pas prêt à entrer dans ce type de démarche, les forces vives de la société
risquaient d’entrer rapidement en conflit avec le pouvoir. Et que ce serait un
conflit autrement plus dur que le classique clivage droite-gauche. Nous en
sommes là. Il semble que l’essentiel des groupes parlementaires de gauche, une
bonne partie des gens autour du Premier ministre, une partie non négligeable de
personnes qui gravitent autour de la présidence de la République souhaitent
aller dans cette direction. Mais nous sommes sous la Ve République, ce système
que, dès les années 70, Edmond Maire qualifiait de « monarchie nucléaire
». »