Saturday, January 08, 2022

L 'Ami américain (broie du noir)


Je travaille, oui, ce mois-ci (et, après, plus rien) en Suisse (Neuchâtel) pour un stand-up intitulé Qui m’aime me suive et à Paris pour une pièce de danse avec cent personnes (reprise de l’an passé) intitulée Sur le Carreau. Reprise du spectacle d’après Baudelaire, aussi, intitulé Rester vivant. Mais nous sommes soumis à la progression du virus. Tout le monde l’attrape, mais ça semble moins dangereux qu’avant (si on est vacciné)… Des élections auront lieu au printemps… La gauche est détruite (six candidats qui ne seront pas au second tour), ce sera entre la droite et l’extrême-droite… Je viens de finir de lire le nouveau livre de Michel Houellebecq, je voulais te l’envoyer d’ailleurs (si tu avais envie de lire du français), mais je n’y arrive pas, la version piratée que j’ai a dû être désactivée… 

J’ai l'impression que, pour les enfants, c’est beaucoup, beaucoup plus dur que pour nous, notre jeunesse. En Europe, ça va peut-être encore, on peut encore peut-être s’illusionner, mais les Etats-Unis qui nous colonisent (c’est toi qui me l'avais appris il y a déjà bien longtemps), on a l’impression d’un désastre absolu — désastre donc promis à court terme… J’ai vu un film rigolo sur Netflix, Don’t Look Up (un film de gauche)… C’est vrai, ça doit être dur d’essayer d’aider des enfants… ses propres enfants surtout… Tu as bien du courage ! Aucun ne croit plus en Dieu ? Il me revient une citation de Chesterton : « Quand les hommes cessent de croire en Dieu, ils ne croient pas pour autant à rien. Ils se mettent, au contraire, à croire en n’importe quoi ». Il y a un tel éparpillements des désirs dont souffrent les enfants, les enfants arrivent à l’âge adulte sans volonté, sans force organique, sans l'élan vital… Je suis moi-même dans cet état, alors… Mais pourtant — nous y croyons encore — la solution, celle qui sauve, vient encore, vient toujours… sauf pour ceux qui se suicident (et ça augmente). Enfin, il faut des livres et des livres pour dire ce qui se passe — et ces livres existent, mais ils ne les lisent pas… Il faudrait que le monde attaque un peu moins pour qu’ils puissent s’intéresser à quelque chose. C’est pas parti pour. 

Tu sais ce que j’aurais envie de te dire, nous sommes séparés par tant d'océan, c’est que je vais prier pour tes enfants. Il y a bien longtemps que je n’ai pas fait de prière... et pourtant c’est l'intention que j’ai quand je suis, comme ce soir, dans ta proximité — comme je suis toujours —, dans ta protection.

Je t’embrasse chaleureusement et Monica et les gosses !

Merci pour les photos où vous êtes tous beaux, même toi !

Yvno




*



Ah, c’est compliqué, la politique… et rien, en même temps. Ça prend la place du réel. Mon conseil : essaye de ne pas te laisser piéger dans un camp (et les autres, c’est des cons). Partant de là, c’est vrai que j’ai du mal à apercevoir ton intérêt pour Trump. C’était mieux avec lui ? Moi, je ne vois qu’un milliardaire vulgaire qui donne aux riches et prend aux pauvres. Je ne vois pas ce qu’il y a de new et d'exaltant là-dedans. Je vois que le peuple adore les dictateurs. En Russie, un ami qui y est en ce moment me dit qu’ils adorent tous Poutine. Faut le faire, quand même… Enfin, j’ai du mal à comprendre ça, que l’Histoire se répète comme ça. En France, notre plus grand boucher a été Napoléon et il est adoré (mon grand-père l’adorait). J’aperçois peut-être quelque chose de ta pensée quand tu parles du « shift from identity to freedom that the new right in the US is trying to articulate ». La liberté, c’est un mot qui me parle ! Mais — et Dieu sait si je pense que la gauche à tort — je n’aperçois pas Trump apporter une quelconque liberté ! 

Zemmour, on évite d’en parler, ici (je veux dire dans les familles, parce que les médias n’arrêtent pas...) C’est pareil que Trump, en effet. Il n’est pas antisémite, je ne crois pas, étant Juif lui-même (d’Afrique du Nord). Zemmour est insupportable, ça fait des siècles que je le vois à la télé et il a toujours été con. Mais, comme tu es gentil, je vais te citer deux choses qu’il a dites que j'ai trouvées intelligentes. (Certaines nuits d’insomnie, YouTube m’envoie des extraits d'anciennes émissions de télé qui défilent comme ça sous mes yeux « éveillés », haha !) La première, c’était un débat où il était opposé une fois de plus à une féministe et il lui a dit à un moment : « Mais croyez-vous vraiment que vos mères et vos grand-mères aient été plus idiotes que vous ? ». Pour moi, cette phrase sonne juste… La deuxième chose qu’il a fait remarquer, c’est que le patriarcat s’est mis à décliner à partir de la guerre de 14. Les hommes sont revenus en disant : « Si c’est ça, être des hommes, participer à une telle boucherie, on ne veut plus être des hommes… » Là aussi, j’ai trouvé ça juste. (Il se trouve aussi que les femmes, pendant que les hommes se faisaient massacrer, s’étaient mises à travailler.) Je pense que le patriarcat avait déjà commencé à décliner avant la guerre de 14, de moins en moins de duels, par exemple, Marcel Proust s’est encore battu, mais c’est l’un des derniers et les femmes ont eu plus de liberté sociale à partir du moment où elles ne sont plus mortes en couche, etc. Bref, je pense que les changements d’organisation sociale proviennent de mouvements plus profonds, plus lents, plus violents, plus vastes, plus sérieux, plus mystérieux que les enjeux politiques. Pour moi, si la politique se taisait, ce serait mieux. C’est là que vont mes prières. Surtout, pour moi, si la politique s'arrêtait de promettre mieux. Pour moi, les combats politiques ne servent qu’à amplifier l’enfer, renforcer l'enfer. Comme le dit le proverbe français : « L’enfer est pavé de bonnes intentions ». Jamais le bien, toujours le mal. Est-ce que Jésus ne parle pas comme je le fais maintenant ? Je le pense. Je ne trouve pas de contre-exemple… Si, Vladimir Jankélévitch — que j'aime beaucoup — pourrait m'en apprendre...
Les militants, disait Duras, ne doutent pas. Je te souhaite de ne pas devenir militant. Ce serait la fin des haricots. Enfin, j’ai beaucoup d’amis militants, mais, heureusement, ils ne sont pas seulement militants. Ce sont des personnes à part entière, c’est-à-dire des poèmes, des mystères. Mais, dès qu’ils se mettent dans leur littéralité de militant, leur dogmatisme, leur bêtise, leur binarisme, j’essaye de me dégager, d’en rester au poème vivant. Je comprends, certes, leur folie car nous sommes tous fous, mais il y en a de plus dangereux que d'autres...
Il n’y a pas de manifestations à Paris en ce moment, à ce que je sache. Les « demonstrations every week-end » dans le centre des villes datent d’avant le virus.
Mon conseil, encore une fois : surtout pas de politique ! S'en détacher. Et lire, lire beaucoup, partout, sur tout, essayer de comprendre. Tchekhov lui aussi très emmerdé par les militants qui lui reprochaient de ne pas s’engager dans ses écrits (ces révolutionnaires responsables ensuite de la plus grande horreur créée sur terre (qui n’est pas fini !)) disait dans une lettre : « Il faudrait quand même que les gens qui écrivent, en particulier les artistes, réalisent que, du monde, on n’y comprend goutte. » Et le psychiatre français Boris Cyrulnik dit la même chose : « Moins on a de connaissances, plus on a de convictions ». Délivrez-moi, mon Dieu, de mes convictions ! Et, attention, Martin, pas de prosélytisme, si tu peux, jamais, jamais… Sorry, j’ai impression de t’avoir déjà envoyé cette lettre (mais c’est que tu te répètes aussi un peu). Rimbaud :  « Des humains suffrages, / Des communs élans / Là tu te dégages / Et voles selon. » 
Bon vol !
Je t’embrasse, mfr, en ce samedi, 
Yves-No

Labels: