Sunday, April 13, 2025

N os apparitions


Oui, la littérature était ancienne, était rêvée, n’était pas de ce monde. Ce que je lisais n’était pas de ce monde. Je lisais les morts, les voix des morts.
Quand on retrouve un ami avec qui on a partagé la même durée de vie, mais en s’étant perdus de vue, on se donne des nouvelles, on se regarde d’abord, on se parle de manière assez libre, on se trouve des points communs (par ex, ce livre merveilleux de Jacques Rancière : Au loin, la liberté). La vie est comme allégée, c’est un printemps, il y a le soulèvement de quelque chose, comme une couverture transparente, on la soulève, tout est finalement vivant…
J’avais demandé à cet ami s’il avait des enfants, du moins à sa connaissance. Il me dit que sa dernière compagne en avait voulu un, mais que lui se trouvait trop vieux, mais qu’il avait pourtant accepté pour elle, mais que ça n’avait rien donné. C’était donc une bonne question. Je lui avais dit que ma première compagne en avait eu quatre avec son nouveau compagnon après m’avoir quittée. C’était drôle de pouvoir se donner des nouvelles de choses très anciennes, mais très précises. Nous avions un territoire commun dans lequel nous pouvions organiser un jardin
Maintenant, j’avais accepté de rejoindre le calme. C’était mon pays, le calme jour de la lecture,
le « vers le soir »
A ce nouveau compagnon — qui, bien sûr, lui aussi, devenait imaginaire — j’avais envie de dire que je lisais toujours le même livre. Pire que ça, que j’avais vraiment envie de lire toujours le même livre pour pouvoir l’instruire de ce livre, lui apporter ce livre, lui faire connaître ce livre très exactement, le plus exactement possible
Cette théorie, m'autoriserait à croire — ou à dire que je croyais, j'étais si sceptique — que nos apparitions, ce qui de nous apparaît, sont si passagères comparées au reste, à notre part d’invisible, très étendue, elle, que cette part d’invisible survivrait peut-être, se retrouverait d’une façon ou d’une autre au contact de telle ou telle personne ou viendrait hanter certains lieux après notre mort… (peut-être… peut-être…) Ça, je pouvais le recopier ici, mais j’aurais peut-être pu le lui dire en direct. C’est ce que je souhaitais, en tout cas. J’avais une sorte de sens absolu de l’amitié. Ce qui revenait souvent (je le lui faisais remarquer), c’était qu’il s’était disputé avec des gens, ça revenait, dans des circonstances et d’autres
Je lui disais que son caractère doux me rendait difficile de l’imaginer

Il y avait des peupliers de marbre noir
Et l’« il y a »  des dahlias
Un fouillis d’avril, de juin, de mars

Un certain désordre de printemps
 
(Et les fleurs et les amusements)

Je me laissais naviguer parmi les pages. J’avais mon vaisseau — qui appartenait aussi à d’autres que moi
de même que j’empruntais aussi (mais pas assez souvent, je trouvais) les vaisseaux des autres

De mystérieuses histoires d’amour

Planètes spacieuses, sauvages…

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L ’Uniforme de son sexe


En fait, il m’aurait suffi de vivre toute ma vie avec Legrand pour être heureuse… En fait, il me suffisait de vivre avec Legrand pour être heureuse parce que j’étais amoureuse de Legrand et je l’avais constaté en Bretagne. Je ne savais pas pourquoi (ni comment) Legrand supportait cet amour pour lui — parce qu’il le supportait, c’était ça, le miracle. Il y répondait avec second degré, ce qui m’allait très bien car le second degré est ce qui permet la vie sur terre, j’en suis persuadée (et, si l’on y étouffe parfois, c’est par goût du premier degré). En tout cas, avec Legrand, c’était la condition de notre existence. Sa gentillesse, c’était qu’il répondait à l’insistance de mon amour par le second degré. Ainsi la vie semblait allégée, rêvée ; tout était possible entre nous, tout était subsidiaire… Une fois Legrand m’avait engueulée. Sévèrement. Je conduisais, j’avais dû arrêter la voiture. Il me reprochait de trop dénigrer le militantisme. Je ne voyais pas trop ce qui produisait ça, cette colère, parce qu’il était bien souvent d’accord avec moi. Mais, pour lui, ce n’était pas le militantisme qui était méprisable, c’était le dogmatisme. Plus tard (comme pour s’excuser ?), il m’avait envoyé une vidéo montrant Annie Le Brun en 78 qui avait écrit un pamphlet contre ce qu’elle appelait le « néo-féminisme » par opposition au féminisme primitif de Louise Michel, Flora Tristan… « dont le souci majeur était justement d’en finir avec tous les ghettos des femmes entre elles ». Contre aussi le militantisme  : « Dans militantisme, il y a le mot « militaire » et, pour ma part, je serai toujours du côté des déserteurs contre les armées normales ». En face d’elle, Gisèle Halimi, le mensonge incarné, le sourire aux lèvres, sûre de son bon droit, la voix d’institutrice (avec le recul, ça ne pardonne pas). ALB : « Pour moi, la question fondamentale, c’est d’en finir avec les meutes hurlantes dont notre époque s’est montrée si féconde ». J’avais aimé que Legrand m’engueule, que le ton monte. C’était sexy. C’était comme si qqch de sexuel se passait entre nous. Oui, c’était comme une forme du sexuel. Marguerite Duras, dans mon enfance, affirmait que tout était sexuel partout, tout le temps. Pour elle, c’était vrai, mais, avec Legrand, pour moi, c’était vivable, c'était possible que tout soit sexuel et seulement ça. La communauté inavouable. La voiture était garée au soleil, sur le bas-côté de la route centrale de la presqu’île de Crozon et, pendant 3 1/4 d’h, nous avions coupé le temps de la promenade pour délivrer violemment, bien qu’imaginairement  les spermatozoïdes et ovaire…


et son beau corps miroitait au soleil sur la plage, il avançait, la plage était immense et son beau corps miroitait

Le monde était beau, à ta semblance

« Et on en vient à refuser aux hommes et aux femmes le seul moyen qu’ils ont ici et maintenant de subvertir la misère des rapports humains car on les dissuade insidieusement de se rencontrer, voire de s’aimer et, ça, pour moi, c’est criminel »

J’étais toujours à deux, j’étais toujours secret, en équipe


« The outside world didn’t matter »

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