Monday, March 20, 2017

P hotos de Rémy Artiges (3)

« Par ces cris, ils incitaient les Argiens à combattre.
Comme vont tombant les flocons de la neige hivernale,
innombrables flocons, quand Zeus s'est mis, dieu de ruse,
à la verser, révélant aux hommes les flèches siennes :
ensommeillant les vents, il la verse, pour qu'elle recouvre
les sommets des grandes montagnes, les hauts promontoires,
les prairies de safran et les gras pâturages des hommes,
elle est versée sur les flots grisonnants, sur les ports et les côtes,
seule la vague qui va la repousse ; mais tout le reste
en est enveloppé, quand la neige de Zeus s’amoncelle. » 

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« In girum imus nocte ecce et consumimur igni »

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« La seule excuse de Dieu, c’est qu’il existe pas. » 

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F ace au philosophe, le non philosophe aura toujours raison


« Étudiant en hypokhâgne, une phrase de mon professeur de philosophie m'avait interpellé : « Face au philosophe, le non philosophe aura toujours raison. » Que voulait-il dire ? Je l'avais spontanément retenue, comme s'il fallait un jour qu’elle parlât du monde réel. Ce monde-là est venu — et notre élection présidentielle le prouve chaque jour davantage.
Mais aujourd’hui, qui est le philosophe, qui est le non philosophe ? Très clairement — et cette définition n'a pas changé depuis Socrate — le philosophe est celui qui écoute l'autre, qui respecte la valeur de tout individu, qui se réfute, qui doute, s’abstient d’arbitrer en hâte, et ne croit pas aux miracles. Le non philosophe, au contraire, juge à l'emporte-pièce, se révèle plein de certitudes, il fait preuve d'agressivité, ne renie pas la caricature, et préfère la rhétorique à la dialectique. Autrement dit : le philosophe est le démocrate, et le non philosophe le démagogue.
Or que constate-t-on ? Que pour complaire à la société du spectacle, par soif d’information « continue », dans une perpétuelle course à l'audience, le monde télévisé n'a fait qu'opposer, depuis des années, de façon de plus en plus méthodique, des démocrates à des démagogues. Quant aux journalistes, formés dans leurs écoles à répondre par des données vérifiables et vérifiées à leurs invités, ils se trouvent démunis face aux porte-parole des extrêmes, qui ne ripostent qu’avec des galéjades, des attaques personnelles, ou des arguments d'inspiration complotiste.
Lorsque Florian Philippot, face à Pierre Lescure, Patrick Cohen, Anne-Sophie Lapix, assène sans aucune preuve tangible que Patrick Drahi favoriserait Emmanuel Macron parce que celui-ci l’aurait aidé à remporter des marchés (et pourquoi pas, à dominer le monde), que peuvent rétorquer ses interlocuteurs ? « Ce n'est pas vrai » n'est pas une réponse ; et souffre d’une semblable absence de matérialité. Au vrai, ici comme ailleurs, répondre c’est déjà perdre. Alors les journalistes se défaussent, ils réclament des certificats, des témoignages – ainsi que tout philosophe le ferait. Et bien sûr, notre non philosophe leur assène le coup fatal : « Vous savez, il faut être capable d’entendre les critiques, ne soyez pas dans le corporatisme, ça vous décrédibilise. » Rechercher la vérité en citoyen responsable, ce serait donc être corporatiste ? C’est aberrant mais c’est plié : le mot est dit. Le mal est fait. Godard avait anticipé cette scène dans Pierrot le fou. Comme Ferdinand, les journalistes parlent avec des mots, et l'extrême-droite (telle Marianne) leur répond avec des sentiments.
L’exemple peut être reproduit à l'infini, car si le FN a bien compris quelque chose, c'est que la nuance n'est pas médiatique. En effet, il est beaucoup plus facile d'affirmer que tous les migrants sont des terroristes en puissance plutôt que de reconnaître qu'une minorité d'entre eux pourraient présenter une menace, beaucoup plus commode de suggérer que les aides sociales sont dévorées par des paresseux plutôt que d'admettre qu'un petit nombre d’individus profitent d'un système essentiel à la majorité. Plus aisé d'affirmer que l'Europe est notre ennemie plutôt que de procéder à son droit d’inventaire, et de réparer ce qui ne fonctionne pas. Plus spectaculaire de flanquer un coup de poing que de consulter une page de livre. Et plus simple de dénoncer un « système » sans la moindre solution alternative cohérente — ou, comme l’écrivait Raymond Aron, d’être ce « professionnel de la parole, qui ignore les rudes servitudes de l’action » — plutôt que de se confronter aux chiffres précis, à l’âpreté du réel. Les médias l'ont compris trop tard, pris à leur propre piège d’images, forcés de remplir leurs innombrables cases, et d'inviter à poignées des non philosophes, qui sortiront vainqueurs de tous les matchs qu’on leur propose, parce qu’ils ont modifié les règles à leur avantage ; et que par lâcheté, par manque de rigueur, par appétit d'audimat, on les a laissé faire.
Le phénomène américain aurait dû nous alerter. En l’espèce, le présentateur-vedette Donald Trump a été le plus brillant modificateur de règles du débat démocratique. Répondant à chaque objection par une fausse information (jusqu’à inventer les alternative facts), il est parvenu à discréditer la notion même de vérité ; objectif rêvé, ultime, de tout non philosophe. Il est vrai que les vérités imaginaires ont toujours été plus séduisantes que les vérités réelles. « Pour l’intellectuel [sic] qui cherche dans la politique un divertissement, un objet de foi ou un thème de spéculations, ajoute Aron, la réforme est ennuyeuse et la révolution excitante. L’une est prosaïque, l’autre est poétique. » Seulement dans le passé, le rôle des médias démocrates — des philosophes — était de se prémunir des non philosophes, au lieu de leur fournir une tribune supplémentaire. Les hommes politiques aiment à rappeler que ce n’est pas en répétant un mensonge qu’on le transforme en vérité. Il faudrait les avertir que dans les médias de masse, ce proverbe reste parfaitement efficient.
À ce titre, il est hallucinant de constater que les deux principales chaînes du pays (TF1 et France 2), entendent, avant le second tour, organiser de grands débats entre les aspirants à la présidence. Quand on pense qu'il y a quelques années encore, l'idée qu’entre les deux tours, un démocrate débatte avec un candidat du FN nous semblait hors de propos, et qu'aujourd'hui, le service public prie pour que cela se produise avant le scrutin même ! Si Marine Le Pen est élue — ce que d’aucuns semblent espérer, lassés par l’arène trop lisse à leurs yeux de la démocratie, mus par une sordide prophétie auto-réalisatrice —, ce sera pour une large part grâce à telles émissions, où la candidate laminera ses opposants en usant d’armes trompeuses que ceux-ci n’oseront pas saisir. Grâce à de telles émissions qui, sous couvert de sérieux, mais par leur existence même, transforment la politique en spectacle, l’adhésion à un programme en passion pour une personne, remplacent le verbe par le buzz. Contrairement à ce qu'affirme le FN, une société où les médias (d’un certain type) sont rois est une société où les extrêmes sont rois. »


— Bravo ! Brillant. Et malheureusement affreusement vrai. Incroyablement fatal. Je n'ai pas la télé, mais je suis chez mes parents quelques jours et je suis effaré. En voyant la télé (on ne s'en rend peut-être pas compte), on ne peut pas ne pas être sûr que toute la France (hors Paris) est devenue FN. Et que les journalistes fassent comme si de rien n'était est invraisemblable. Rien de nouveau, peut-être, d'ailleurs, ça fait un moment. Quand je cherchais le nom pour mon association (il y a douze ans), je regardais la télé toute la nuit et, une nuit, je me suis dit : Je veux faire le contraire de ça — et j'ai trouvé ce mot : Le Dispariteur. Leur responsabilité est terrible.

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« Tout le bizarre de l’homme, et ce qu’il y a en lui de vagabond, et d’égaré, sans doute pourrait-il tenir dans ces deux syllabes : jardin. »

« Pour faire un jardin, il faut un morceau de terre et l’éternité. »

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