Friday, January 21, 2011

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Mathilde Monnier sur le départ

Bon, ça c’est bien passé. C’est l’aube, à Montpellier, l’aube glaciale, du Sud, transparente avec un ciel absolu… Je serais bien resté



Je ne sais pas comment commencer cet article, je ne sais pas dire je t’aime. « Je l’ai dit tant de fois pour rire… Je n’ose pas, je n’ose pas… » Bon, ça s’est bien passé, hier. C’est comme si j’avais réappris à communiquer. Il était temps. J’en pouvais plus. Ce blog, c’est quelque chose, mais c’est pas pareil. Rien ne vaut le direct. Sentir qu’on sait (quand même) communiquer et que l’existence, grâce à ce métier, n’a pas à se justifier. L’existence sans métier, c’est trop dur. C’est trop vaste. Même si la terre et la vie sont vastes, pour en ressentir les effets, il faut, comme le dit Charles Baudelaire, une certaine ivresse (une certaine « vitesse »)… Donc « ça a marché », je ne saurais jamais dans quelle mesure puisqu’on a oublié d’enregistrer, de prendre des photos, etc. Dès qu’il s’agit de moi, je néglige cet aspect. Nom de Dieu. Manque de professionnalisme. Mais, enfin, ça a été une joie. J’ai chanté trois chansons de Barbara, quand même ! Faut le faire. Pierre m’avait fait des instrumentaux, j’ai chanté Seule, Ma Maison et Le Mal de vivre (avec sa fin tragique de la « joie de vivre »). J’ai placé l’instrumental de Pierre pour l’entrée du public. Ce qu’a fait Pierre Courcelle ressemble à ce qu’il avait fait pour Chaillot, quelque chose de très délicat, triste et émouvant, très barbaresque, en fin de compte. Du piano, de la solitude impartageable (que l’on partage). J’ai commencé par le poème atroce de Charles Baudelaire qui s’appelle L’Irréparable. Une chose sur le désespoir absolu, très, très dure à faire (j’en avais dit deux strophes dans Frankenstein…) « Peut-on illuminer un ciel bourbeux et noir ? / Peut-on déchirer des ténèbres (…) » L’installation d’Yves Godin a été très belle : huit cents bougies sur des rails avec un système pour les éteindre une à une. Mais il faisait très froid parce qu’on ventilait beaucoup (portes ouvertes, soufflerie…) parce que Yves avait peur de la production de CO2. Je n’y croyais pas du tout à cette possibilité de mourir comme ça. Avoir un peu mal à la tête et alors ? La performance a duré quarante-cinq minutes. Après le poème de Baudelaire, j’ai parlé un peu, comme je sais faire, j’ai fait un peu de one man show et j’ai lu des textes, des extraits de textes choisis parmi les livres que Yves m’avait transmis. Gaston Bachelard, surtout, La Flamme d’une chandelle. J’étais habillé du costume noir à paillettes, c’est pas « paillettes » qu’on dit, j’oublie toujours, c’est… Oh… Enfin, le costume incroyable qu’Hedi Slimane avait copié d’un Columbo comme je l’ai découvert par hasard… Le smoking. J’en avais acheté un nouveau chez Dior, mais celui-ci convenait mieux, finalement, avec les bougies (et Barbara, bien sûr). J’ai essayé de tirer l’installation d’Yves Godin vers le mysticisme, le romantisme, l’expressionnisme, le butoh… avec le décollement d’or qu’il fallait en espérer. Dans mon souvenir, c’est ça, c’est cette couleur or, la sensation, un or qui s’éteint, qui s’éteint, qui n’en finit pas de s’éteindre… Un couchant (et l’aube viendra). A la fin, j’ai été debout sur une chaise pour déchiffrer, à la lueur des flammes restantes, un très beau passage de Gaston Bachelard où il raconte l’histoire d’un poète qui, sa chandelle s’étant éteinte, continuait à écrire « à la lueur des yeux de son chat »… A la toute fin, j’étais courbé entièrement vers la dernière bougie restant (au sol, une rampe) pour lire un bout de cours de Gilles Deleuze sur l’expressionnisme. La dernière phrase de la performance a été : « D’accord, mais c’est précisément notre point de départ. » Ça tombait bien. J’ai maigri, le smoking tombait aussi, j’étais nu dedans, j’ai dit (mot de François Hiffler) que ce que je faisais était de la performince.



Mathilde Monnier a été là tout le séjour, très belle, très vive, très agréable. Voilà le genre de femme avec qui j’aimerais vivre ! Elle a tous les âges – gamine, beaucoup – toutes les intelligences… Il y a eu un leitmotiv un peu drôle. « La Gazette » allait sortir un papier annonçant le retrait de Mathilde Monnier en 2012, Mathilde était furieuse (mais sans violence). J’ai assisté, dans son bureau-studio, à un coup de fil de la journaliste qui rappelait pour se justifier. En particulier, il y avait cette scène qui m’a beaucoup amusé : « …Et puis ça m’a été confirmé par le Centre chorégraphique… – Par qui au Centre chorégraphique ? – Ah, tu comprends, Mathilde, que je ne peux pas citer mes sources… – Non, mais par qui ? Jean-Marc ? – Non, mais Mathilde, je n’peux pas, tu comprends… – C’est Jean-Marc, c’est ça ? Qui ça peut être, de toute façon, au Centre chorégraphique ? C’est Jean-Marc ? – Oui, c’est Jean-Marc. (Piteusement.) » Je suis tout de suite descendu prévenir Jean-Marc qu’il allait, ouh, là, là, bien se faire enguirlander ! Ça a été très drôle, ces deux jours, ce feuilleton. On a imaginé qu’on pouvait faire retomber la faute sur Lucette, la femme de ménage. Et, en effet, pourquoi Lucette qui nourrit les oiseaux le matin ne pouvait-elle pas être la source de « La Gazette » ? Moi, je serais journaliste à « La Gazette », je m’adresserais plutôt à Lucette qui, ce matin, a été la seule personne que j’ai rencontrée et qui m’a demandé si, hier, ça s’était « bien passé ». Oui, ça s’est très bien passé, merci. (Vous pouvez le dire à « La Gazette », Lucette.) Il y a un art de vivre dans cette maison, j’aimerais y revenir plus souvent. D’ailleurs, Jean-Marc me doit une résidence… (Et contrairement à ce qu'il est affirmé dans la rubrique « rumeurs » de « La Gazette » qui traîne parmi les lectures des passagers du TGV, Mathilde voudrait rester directrice du Centre chorégraphique au-delà de 2012 et surtout « ce n’est pas le moment d’en parler ». Tout ça, bien sûr, se passe – ou se passera – en négociation avec les tutelles et, quand on en parlera dans les journaux, on convoquera plutôt « Le Monde » ou « Libération ».)

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Sur mon mur

Thibaut Kaiser
Mais qu'est-ce que tu veux faire plus tard quand tu seras grand ?
– Quand je serai grand, je veux faire Yves-Noël Genod. Et je mettrai des costumes Dior. Et je dirai Duras, Deleuze, Bachelard, Baudelaire à la lueur de la bougie. Je lirai, je lirai et je chanterai même Barbara. Et je serai bon. Putain, que je serai bon ! Elégamment bon.

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